Premiers enseignements à tirer de l’accident de Fukushima (13 août 2011)

Malgré le fait que l’accident de Fukushima (11 mars 2011) et ses développements ont montré combien le Japon était mal préparé (normes nucléaires insuffisantes et mal respectées, électricien/exploitant et autorités de sûreté pas à la hauteur, mauvaise prise en compte du retour d’expérience sur des accidents antérieurs, commercialisation de produits alimentaires – spécialement de bœuf – parfois déficiente, etc), il faut noter que la population a extrêmement bien réagi face à un accident d’ampleur tout à fait exceptionnelle, que la Protection Civile a fait preuve de beaucoup d’efficacité dans l’évacuation de la zone exposée et que les opérateurs présents sur le site ont fait preuve de beaucoup de courage et de détermination. Tout permet de penser que les dommages au plan sanitaire des populations, y-compris des enfants, du fait de l’exposition au rayonnement et à la contamination, seront extrêmement réduits par comparaison à ce qui a été observé après la catastrophe de Tchernobyl. Compte-tenu de la lenteur de la manifestation des effets sur la santé, il faudra cependant attendre 25 à 30 ans pour apporter toutes les preuves dans ce domaine.

Ceci étant, les dégâts dans l’opinion publique seront considérables et durables. En outre, déjà très faible, l’image de l’autorité politique est d’ores et déjà très amoindrie dans le pays.

Par ailleurs, pour tous les pays ayant recours au nucléaire pour produire de l’électricité, l’accident a une vertu très importante : celle de rappeler qu’un accident reste toujours possible, ce que personne n’a jamais nié, y-compris en France, mais surtout de montrer que des accidents tout à fait imprévus ou jugés improbables peuvent survenir et doivent être pris en compte, ce qui n’était pas toujours le cas, loin de là.

A ce stade, 5 mois après le déclenchement de l’accident, il est possible de tirer les premières et grandes leçons de l’accident. Il se trouve qu’en France même, après quelques semaines, dès le mois de mai et alors que la situation sur place était encore loin d’être contrôlée, les principaux responsables français en matière de sûreté nucléaire se sont exprimés publiquement et dans le cadre d’importantes conférences internationales. Ils sont clairement à l’avant-garde de leurs homologues étrangers :

André-Claude Lacoste, président de l’ASN, a déclaré à plusieurs reprises : "Personne ne peut garantir qu'il n'y aura jamais d'accident nucléaire en France"…Il revient "aux exploitants, aux autorités de contrôle, au gouvernement, de faire ce qu'il faut pour réduire cette probabilité"…."A nous tous de faire ce qu'il faut pour en réduire les conséquences, mais à l'évidence il faut que nous soyons capables de les gérer".

Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN, a souligné de son côté…."Il faut accepter de se préparer à des situations complètement inimaginables parce que ce qui nous menace le plus, ce n'est pas un accident +standard+",…."Il faut faire des scénarios réalistes dans un contexte qui n'est pas réaliste pour notre imagination, c'est ce qui s'est produit au Japon".

L’un comme l’autre sont bien sûr tout à fait dans leur rôle en soulignant que, dans la plupart des pays, les autorités avaient admis de ne pas exiger des exploitants qu’ils garantissent la sûreté de leurs installations dans des circonstances dites hors dimensionnement en raison soit de leur caractère invraisemblable (cumul de plusieurs causes) soit d’un degré de probabilité extrêmement faible: l’objectif était d’avoir moins d’un accident grave pour 100 000 ans-réacteur.

L’expérience est maintenant là pour démentir la prévision : 3 accidents graves en 30 ans (Three Mile Island aux USA en 1979, Tchernobyl en Union Soviétique en 1986 et Fukushima au Japon en 2011) soit environ 20 fois plus que ce qui était jugé comme admissible.

Il s’agit donc aujourd’hui de remettre en cause certaines façons de penser et de gérer certaines situations puisque l’improbable reste possible. En particulier il n’a probablement pas été tenu compte suffisamment de certains facteurs de risque (risque naturel, risque terroriste, risque technologique et peut-être risque d’erreur humaine). En effet des enchaînements d’événements (séisme, rupture d’alimentation électrique, inondation, perte de source froide, secours extérieurs rendus inopérants,..) peuvent conduire à des effets aggravants non prévus à ce jour. Par ailleurs un accident sur un réacteur peut avoir, sur un réacteur proche, des conséquences directes, suite par exemple à une explosion, ou indirectes en fragilisant ou en rendant inopérantes des installations communes à plusieurs unités. On pourra lire avec intérêt la présentation faite par Mr Jacques Repussard, en tant que président du conseil scientifique de l’Agence pour l’Energie Nucléaire, le 7 juin lors du séminaire ministériel intergouvernemental (G8-G20) tenu à Paris.

Ces considérations n’auront sans doute pas de conséquences économiques inacceptables pour les meilleurs des nouveaux concepts de réacteurs aujourd’hui en compétition, mais aura un impact important sur les coûts d’études et de recherche. Elles pourraient, en revanche conduire à l’arrêt, plus tôt que prévu, de certaines installations existantes, anciennes ou pas. Encore faudrait-il que de tels arrêts soient décidés sur la base de critères objectifs, partagés au plan international.

A titre illustratif on notera qu’il est paradoxalement possible de trouver dans l’accident de Fukushima des exemples de solutions efficaces et peu couteuses : en effet sur les six réacteurs du site, quatre sont dévastés mais deux, construits sur une plateforme surélevée par rapport au niveau de la mer, n’ont pas été noyés et n’ont pas souffert. Doté d’un diesel refroidi par l’air, l’un de ces deux derniers réacteurs, le réacteur n°6, a gardé toutes ses fonctions et a supplée le réacteur n°5 dont le diesel, refroidi par eau, était défaillant faute d’eau.

Une question importante découle de ce qui précède : la sagesse conduira-t-elle à décider la fermeture d’anciennes centrales pour en construire de nouvelles beaucoup plus sûres (solution anglaise) ? Ou à tout arrêter au plus vite (solution allemande) ?

Voire encore à prolonger l’existence d’installations déjà en service pour éviter d’en construire de nouvelles, solution bâtarde pratiquée par les Russes qui, après Tchernobyl, se sont employés à rafistoler les réacteurs de type RBMK et à suspendre, pendant plusieurs années, la construction des premiers VVER, et un peu par les Français qui ont réactivé l’ancien réacteur Phénix de façon à permettre l’arrêt sans délai du réacteur SuperPhénix, pourtant opérationnel, et sans compromettre certains programmes de recherche.

Nous ne reviendrons pas ici en détail sur une leçon de Fukushima déjà très longuement évoquée sur ce site dans le N° 57 de Nucléaire & Energies consacré à Fukushima et en particulier dans les pages 21 et suivantes. Il s’agit du point capital de la définition de mécanismes contraignants pour que le retour d'expérience soit analysé pour chaque installation, devienne incontournable, soit vérifié en parfaite transparence par des experts extérieurs à l’installation et que les améliorations investissements, pratique opératoire soient imposées à tous les électriciens sans exception et sans possibilité d’y échapper. En bref, il s’agit de fiabiliser le système WANO mis en place il y a 25 ans, qui fonctionne assez bien avec cependant des contraintes insuffisantes, mais n’a pas fonctionné au Japon.

Dans un tout autre domaine, celui des conséquences au plan sanitaire de l’accident de Fukushima, à un moment où l’internaute se perd entre les diverses ‘‘informations’’ dont il est abreuvé, il est intéressant de prendre connaissance de l’avis de Roland Masse, membre de l'Académie des Technologies et ancien président de l'OPRI (Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants) aujourd’hui intégré à l’IRSN. Cet avis a été publié dès juin dans différentes publications ( n°86 de la revue Risques et dans le n°3 -2011 de la Revue Générale Nucléaire) et nous sommes reconnaissants à son auteur d’avoir accepté de mettre son texte à disposition de note site. Roland tente de situer les conséquences de Fukushima par rapport à celle de l’accident de Tchernobyl de 1986. Ce point de vue recoupe les idées déjà exprimées par notre Association sur ce site dans le N° 57 de Nucléaire & Energies consacré à Fukushima et en particulier dans les pages 10 et suivantes.

Rappelons tout d’abord que Fukushima a été classé au même niveau de l’échelle INES que Tchernobyl (niveau 7) alors que les rejets radioactifs de 2011 se situent à 10% environ de ceux de 1986.

Dans un rayon de 30 kilomètres (zone d’exclusion étendue) autour de Fukushima Daiichi et où séjournaient plus de 100 000 personnes, les valeurs de débit de dose variaient de 0,04 microSievert par heure, ce qui est une valeur normale, à 2,2 microSievert/h, ce qui correspond à 20 mSv/an, et résulte des niveaux de contamination surfacique des sols (plusieurs centaines de milliers de becquerels par mètre carré). Par ailleurs si on ne dispose pas encore de bilan des mesures de rétention d’iode radioactif dans les thyroïdes, toutes les mesures connues, obtenues sur des voyageurs, indiquaient des niveaux très faibles.

A l’intérieur de la zone d’exclusion, les 3 premiers Km sont strictement interdits d’accès ; au-delà, l’exposition moyenne avoisine 20mSv/an et est appelée à décroitre avec le temps, mais avec de grandes disparités : quelques zones (points chauds) dont certaines au-delà de 30 km sont comparables à la région de Tchernobyl. La dose intégrée cumulée sur des années pourrait y atteindre 100 mSv, ce qui requiert leur évacuation tant que les sols contaminés n’ont pas été décontaminés.

Quelques chiffres démontrent le sérieux avec lequel l’accident de Fukushima est géré : pour ce qui est des personnels intervenant sur le site, 50 dans les premiers jours, quelques centaines après quelques semaines, les chiffres connus à mi juin faisaient été état d’une centaine d’agents ayant reçu plus de 100 mSv, trois ont enregistré une dose supérieure à 170 mSv et deux ont subi une contamination cutanée de la jambe à un niveau ne causant pas de brûlure radiologique. Les doses sont restées dans la limite de 250 mSv fixée par les autorités japonaises pour répondre aux situations d’urgence radiologique. Même si on prend en compte le fait que les travaux sur la centrale sont loin d’être achevés, il est évident que l’on n’est pas du tout dans la situation de Tchernobyl, où le nombre total des « liquidateurs » a été réévalué en 2011 par l’UNSCEAR (comité des Nations unies pour l’étude des effets des radiations atomiques, créé en 1955) à 530 000, avec une dose d’exposition individuelle moyenne de 117 mSv.

A Fukushima il n’y a eu aucun décès dû à la radioactivité alors qu’à Tchernobyl, parmi les liquidateurs et pompiers les plus exposés, 237 avaient présenté des signes d’irradiation aiguë, 134 avaient été hospitalisés avec des doses comprises entre 800 et 16.000 mSv, 28 en moururent très rapidement après la catastrophe après avoir reçu des doses comprises entre 4000 et 16000 mSv et 33 décès supplémentaires étaient déplorés dans les 20 ans suivantes.

On observera incidemment que deux physiciens français, adeptes de la transparence et connus pour leur opposition à l’industrie nucléaire, ont trouvé de bon goût, il y a quelques jours, à la veille de l’anniversaire du bombardement d’Hiroshima, de rappeler que « la catastrophe qui a eu lieu dans la centrale de Fukushima sur 4 de ses réacteurs est pire que Hiroshima et Nagasaki réunis, en termes de radioactivité relâchée. C’est mille fois plus – disent-ils – en ordre de grandeur : 1 tonne par réacteur contre 1 kg par bombe » précisent-ils, feignant d’ignorer que la très grande majorité des matières est restée confinée dans les réacteurs de Fukushima !

Il est piquant de noter qu’au même moment le gouvernement japonais faisait savoir qu’il examinait les conditions devant conduire à l’assouplissement des conditions d’accès, voire de séjour, dans certains secteurs de la zone d’exclusion autour de la centrale.

Pour conclure, on notera enfin un point tout à fait positif découlant de l’accident de Fukushima : le fait que des chercheurs de l’université de médecine de Fukushima vont procéder, pendant une trentaine d’années, à un suivi médical de quelques 2 millions de personnes résidant dans la préfecture et à un examen de la thyroïde d’environ 380 000 jeunes de moins de 18 ans aujourd’hui. Nul doute qu’avec une telle étude, portant sur une aussi large cohorte et sur une aussi longue période, et ayant de ce fait un poids statistique inégalé à ce jour, il sera possible d’améliorer considérablement les connaissances sur l’effet des faibles doses, une pomme de discorde entre tenants et adversaires du nucléaire qui pourront cependant poursuivre leurs joutes pendant encore de longues années.

Bernard Lenail