La conférence de Cancun : succès ou échec ? (23 janvier 2011)


Après l’énorme déception consécutive au fiasco de la Conférence de Copenhague en 2009, personne n’osait espérer un succès en décembre 2010 à Cancun tant avaient été décevants les différents travaux préparatoires des mois précédents. Pourtant les enjeux étaient importants, ne s’agissait-il pas en effet de la préservation du climat et de la limitation, puis la réduction, des émissions de gaz à effet de serre ?

C’est sans doute ce qui explique que, à la clôture de la conférence, les participants offrirent une standing ovation aux organisateurs et que, dans la foulée, tant les ministres présents que les Organisations Non Gouvernementales représentées clamèrent leur bonheur devant des résultats aussi importants qu’inespérés :

- restauration de la confiance dans le multilatéralisme onusien ;

- un accord conclu grâce au courage et à la clairvoyance de l’Inde, un pays en voie de développement, prêt à prendre certains engagements ce qui ne s’était jamais vu, ni à Kyoto ni au cours des 15 dernières années.

Depuis la clôture de la conférence, les semaines passent sans qu’on y voie beaucoup plus clair que les premières réactions à chaud. Après analyse, il apparait qu’il y a des points très positifs :

1) Le retour en l’espoir d’aboutir à quelque chose dans le cadre très controversé de l’ONU ;

2) Le rappel et l’acceptation unanime, de quelques points importants : nécessité de limiter à 2°C le réchauffement climatique, constat d’une large responsabilité des pays développés mais sans exonérer totalement celle des pays émergents, ce qui est très nouveau ;

3) L’adoption de l’année 1990 comme année de référence de tous les engagements à venir. Ce point était essentiel pour l’Europe qui ne voulait pas que les efforts faits depuis la conférence de Kyoto, pratiquement par l’Europe seule, soient ignorés dans l’accord global à venir ;

4) Les pays développés s’engagent à des baisses importantes d’ici 2020 (engagements encore à chiffrer mais qui resteraient unilatéraux, donc non contraignants et non contrôlés par un organisme ad hoc). On sait cependant qu’il existe différents moyens indirects d’‘apprécier’ le respect de tels engagements et qu’il est concevable de faire jouer un rôle à des experts ‘indépendants’;

5) Les pays en voie de développement sont invités à chiffrer les efforts qu’ils se proposent de faire pour limiter les émissions de gaz à effet de serre sans pour autant compromettre leur course légitime au développement ; enfin,

6) La création d’un Fonds Vert tel que l’idée en avait été émise à Copenhague est confirmée, avec des sommes très importantes ($30 mds sur 2010/12 et $100 mds par an de 2012 à 2020), pour aider les pays en voie de développement à prendre les mesures nécessaires pour contribuer à sauver le climat (par ex en ce qui concerne la déforestation) et pour limiter les effets du réchauffement (par ex mise en place de moyens pour faire face au relèvement du niveau des mers). L’allocation de ces fonds serait scrupuleusement contrôlée par un organisme international encore à spécifier. Ce dernier point, qui est nouveau, est bien sûr fondamental.

Tout celà semble bel et bon, mais il n’y a pour l’instant sur la table que des intentions, des principes, aucun chiffrage, aucun processus concret, aucun mécanisme, aucun projet formel d’accord juridique global, de sorte qu’on ne peut pas même estimer la date à laquelle un accord pourrait être solennellement entériné. Il en résulte que l’accord de Kyoto, qu’il s’agissait au départ de pérenniser est donc en sursis en attendant de s’éteindre. Il s’agit là d’une victoire américaine, obtenue avec le concours du Japon, de la Russie et du Canada, que l’Europe, quelque peu masochiste et irréaliste, a bien tort de déplorer.

Par ailleurs, tant que les Etats-Unis et la Chine ne s’engageront pas simultanément et de façon claire, aucun accord global n’est envisageable ; or la situation américaine apparaît complètement bloquée et la Chine – qui a fait preuve de plus d’ouverture à Cancun qu’un an plus tôt à Copenhague – reste toujours le leader des pays en voie de développement – on croit rêver – et refuse la création d’un camp des pays émergents.

Compte-tenu de ce qui précède convient-il de parler de succès ou d’échec à Cancun? Il ne s’agit pas de la catastrophe que l’on a crainte mais à l’évidence le climat n’est pas encore sauvé, seul le processus de négociation l’est !

Alors qu’à Copenhague des pays émergents (Chine, Inde ou Brésil) s’étaient arcboutés contre tout effort qui leur serait demandé et avaient bloqué la négociation, à Cancun ceux-ci ont fait des propositions et sont apparus comme des moteurs plus que des freins. Les pays émergents et en voie de développement vont-ils prendre le leadership de la négociation en attendant que – dans 4 ou 5 ans – les américains et les chinois ouvrent enfin la voie à un accord général.

La question qui demeure est donc la suivante : y-a-t-il urgence climatique ? Le climat peut-il attendre ? Poursuivre sans inflexion le ‘business as usual’ est-il tenable ?

S’il faut effectivement ne pas dépasser la hausse de 2°C comme cela semble maintenant bien admis, il parait alors évident qu’il convient d’infléchir le cours des choses le plus tôt possible et à un rythme plus important qu’indiqué depuis quelques années (les indications fournies après Copenhague conduisaient à une hausse de 3,2°C), faute de quoi l’objectif sera irrémédiablement manqué ou tout au moins d’autant plus coûteux et difficile à atteindre qu’on s’attèlera tardivement au problème.

L’espoir – dit-on – fait vivre, il serait bon cependant que des actes suivent et des actes de poids; les populations y sont-elles prêtes ou seulement préparées ?



Bernard Lenail