Bonjour Patrice, je suis très content de vous voir ainsi remonter de ma mémoire ! et entrer en débat, ça fait plaisir et je reconnais bien là votre indépendance de pensée ! J'ai en effet pensé aussi aux autres bénéficiaires de l' "aplasie" nucléaire française; la Russie, certes, mais ce sera passivement, une retombée favorable peut-être, mais de quels moyens dispose-t-elle pour créer ou même soutenir cette tendance ? on pourrait dire la même chose de la Corée... Quant à la Chine, certainement bénéficiaire - au moins à long terme - , je ne la crois pas de nature à "tirer le tapis" sous les pieds d'un concurrent; ça n'est pas dans sa culture ; si la Chine est impitoyable dans le règlement de ses conflits intérieurs, elle n'est pas agressive vis-à-vis des puissances extérieures, auxquelles elle a toujours reconnu un droit "concurrentiel" à l'existence (regardez son action même vis-à-vis de Taïwan ou Hong Kong...; imaginez la Russie de Poutine ou les USA de Trump dans la même situation... pensez à la Crimée...); non, et de plus la Chine a le culte des "ancêtres" et la reconnaissance culturelle ; en matière nucléaire, elle sait ce qu'elle doit à la France ; elle suit sa voie mais compte d'abord sur le temps pour faire triompher - par ses engagements et son travail - ce qui lui semble profondément juste ( Lao Tseu et Confucius y sont toujours très vivants). Et puis et puis... depuis le plan Marshall et les débuts de l' "infiltration" de l'Europe - avec ses produits, ses goûts, ses dollars (mais surtout, subséquemment, l'insidieuse transformation de la Valeur éthique des choses en valeur financièrement mesurable) - , c'est toute la structure mentale du "vieux monde" qui a été bousculée, abandonnant progressivement en quelques dizaines d'années l'enthousiasme naïf et productif - mais quelque peu irresponsable - apparu depuis les Lumières - avec ses "savants" désintéressés, ses grandes inventions, ses découvertes, son explosion industrieuse... - , pour atteindre aujourd'hui donc un appétit de compétition amorale autorisant tous les coups. Le succès économique global (en dollars évidemment mais surtout en image) de la "culture" des USA tient à une justification, non-dite, de tout acte par le bénéfice égoïstement personnel que l'on en tire. Dans le domaine scientifique et commercial, il existe une dizaine de fondations ou associations américaines qui, chaque année, sélectionnent dans les pays les plus développés plus d'une centaine de "pépites", de jeunes universitaires des mondes scientifiques, littéraires et politiques, censés devenir un jour des leaders, des décideurs... à qui sont offerts un séjour de 1 à 3 ans aux USA, pour un PhD, etc. dans des conditions de confort et d'indépendance qu'ils ne retrouveront jamais chez eux. Ces impétrants, dont vous connaissez certainement comme moi quelques uns, seront marqués d'une empreinte indélébile de la prévalence américaine en toute chose et de son nécessaire succès à terme. Ils sont ceux que j'appelle des "dormants", inconscients. Dans le jeu agressif de compétition-domination qui constitue la vision américaine du monde, ils opteront, même dans leurs choix personnels, pour "l'Amérique". Mais beaucoup d'autres, non "pépites", sont, hors raisonnement conditionnant, également a priori primairement acquis aux visions et interprétations venues du "nouveau monde"... Et agiront dans ce droit fil culturel... L'adjectif "américain" devient synonyme de "bon, valide,...". Dans le nucléaire qui nous concerne ici, les USA ont fait le choix (?) de l'abandon. Il est trop tard pour y revenir; alors dans un esprit de compétition amorale, et ne pouvant contrer ouvertement ceux qui ont fait le (bon) choix inverse, ils "trichent" et tentent d'entrainer les autres dans la même erreur... tous les moyens sont bons... ils financent Greenpeace, dites-vous... Leurs "dormants" ne sont pas mobilisés, ils se mobilisent eux-mêmes, œuvrant, inconsciemment, comme le veut leur "mère" culturelle. Et ces dormants sont aux manettes, en Europe et au Japon... D'où ce que l'on a vu, voit et verra encore, d'aberrant en matière de politique énergétique. Ce qui ne contredit pas, au contraire, votre conviction, que je partage, d'une multifactorialité de nos déconvenues en matière de stratégie industrielle ; plusieurs de ces facteurs tiennent à notre singerie des choix américains. Bon, je me suis un peu lâché, excusez-moi... sans doute le souvenir agréable d'autres discussions que nous avons eues, lors d'une de vos visites à Séoul notamment... avec mon cordial souvenir, Alain Gouchet