REV DU 17 06 08

 
Conjoncture en matière d’énergie

(17 juin 2008)

La hausse sans précédent du prix du pétrole, comme celle de l’énergie en général, mettent cruellement en évidence le fait que le développement observé dans le monde au cours de toutes ces dernières années n’est pas durable. Avec plus ou moins de détermination, les autorités politiques des différents pays prennent peu à peu en compte cette réalité et réagissent de façon dispersée et selon leur situation propre. Le tour d’horizon qui suit montre qu’il n’est plus possible d’ignorer une réalité qui  dérange or, comme chacun le sait, les faits sont têtus.

Sans avoir signé le protocole de Kyoto, les Etats-Unis se sont lancés dans un programme d’économies d’énergie (recherche d’une plus grande efficacité énergétique notamment dans le domaine des transports) et ont décidé de relancer le nucléaire. Ils le font de façon déterminée mais lentement, compte tenu des nombreux obstacles qu’ils ont accumulés depuis une trentaine d’années.

Riche en uranium et fort d’une longue expérience nucléaire, le Canada a décidé, il y quelques mois, de reprendre le développement de son parc de centrales électronucléaires. Les discussions sont en cours avec trois fournisseurs et le gouvernement de la Province d’Ontario vient d’annoncer le choix du 1er site.

Dans un contexte tout à fait différent, l’Afrique du Sud également riche en uranium et plus encore en charbon, mais qui traverse une profonde crise en raison d’une grave pénurie d’électricité qui risque fort de durer, vient, après un an de mise au point et de consultations publiques, d’arrêter un plan pour porter de 2 à 45 GWe en 2025 sa puissance électronucléaire installée.

En Asie où d’importants programmes sont déjà lancés, il y a eu peu de choses très marquantes au cours des derniers mois. Il convient cependant de souligner les efforts tenaces du gouvernement japonais à qui il incombe, cette année, de préparer et de présider les travaux du G8 et qui est très désireux de voir le G8 adopter une déclaration forte sur la question du nucléaire civil. En raison de la position allemande la tâche semble hors d’atteinte encore que la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud et les Etats-Unis soient déterminés à affirmer que le charbon propre et le nucléaire constituent, au même titre que les énergies renouvelables, des alternatives valables pour contribuer à la sécurité énergétique, la limitation du changement climatique tout en maintenant la croissance économique.

 

Plus près de nous, en Europe, les évolutions sont tout aussi marquées.

Ayant constaté la baisse de son potentiel pétrolier et gazier de la Mer du Nord et les risques d’une trop grande dépendance à l’égard de la Russie, l’Angleterre a décidé de recourir aux économies d’énergies, au développement des énergies renouvelables et à la relance du nucléaire. Le tout constitue, on le sait, un paquet devenu aujourd’hui indissociable. Cette relance se fait avec d’autant plus de détermination et de méthode que le gouvernement anglais connaît l’état de délabrement de l’industrie nucléaire anglaise et n’ignore pas que les premiers effets d’une relance ne pourront pas être constatés avant une dizaine d’années au mieux.  

Le gouvernement néerlandais, dans la discrétion, a fait le même constat et, à son rythme, suit la même route. Après avoir voulu arrêter le seul réacteur en service en 2003, les autorités ont admis que celui-ci devrait pouvoir fonctionner jusqu’en 2034, ce qui est plus qu’il n’en faut pour préparer la relève, et devraient même autoriser prochainement l’utilisation à Borselle de combustible MOX.

Dépendante du gaz et du pétrole importés, l’Italie, effrayée par la hausse vertigineuse d’un déficit largement liée à l’évolution du poste énergie, se propose également de relancer le nucléaire. Une telle relance cependant prendra du temps, beaucoup de temps car, à part ENEL l’électricien, le pays n’est guère préparé aujourd’hui à une telle relance.

En avril, les pays de la « nouvelle Europe » ont exprimé collectivement, au cours du ‘Forum de Prague’, que le recours au nucléaire était indispensable pour, à la fois, assurer la sécurité énergétique, le respect des engagements environnementaux tout en maintenant un contexte économique favorable.

Enfin, et cela est encore plus inattendu, en Suisse les mêmes personnes qui il y a une dizaine d’années prônaient la fin de centrales jugées vieillissantes étudient maintenant les modalités pour prolonger leur durée de vie d’une quinzaine d’années et acceptent qu’un électricien dépose une demande pour la construction d’une centrale nouvelle sur un site mitoyen de Goësgen.

 

Il y a bien sûr quelques exceptions :

Forte dans le nucléaire, encore que l’électricité soit loin d’y avoir épuisé tout son potentiel, et dans l’hydraulique, mais « en retard » dans l’éolien et quasi inexistante dans le solaire la France constitue un cas à part : elle semble avoir le nucléaire honteux et être désireuse de jouer les élèves modèles en matière d’économies d’énergie et de développement des énergies renouvelables. Elle a pourtant, d’ores et déjà, des performances plus qu’honorables : rejets CO2 faibles, coût de l’électricité bas, dépendance énergétique relativement faible, parc de véhicules un peu moins polluant que celui de ses voisins mais, là encore, le renchérissement du pétrole contribue à aggraver le déficit.

En bref, l’Europe a de très louables intentions en ce qui concerne la protection de l’environnement mais reste gravement handicapée par le chacun pour soi prévalant en matière énergétique et aussi par les préjugés ‘anti-nucléaires’ de la bureaucratie bruxelloise.

Ainsi, en Janvier dernier, à l’occasion de la présentation du paquet européen « climat / énergie » le président de la Commission José Manuel Barroso avait réussi à présenter les objectifs européens pour Dynamiser la croissance en luttant contre le changement climatique sans jamais mentionner l’énergie nucléaire ! En fait il n’avait guère mentionné non plus les efforts en matière d’efficacité énergétique ou la réduction d’émissions de gaz à effet de serre puisque rien n’était prévu pour sanctionner les dérives dans ces deux domaines .Toute l’attention était en effet  focalisée sur les efforts à déployer en matière d’énergies renouvelables, avec sanctions à la clef en cas de non respect. Il semblait ainsi que la Commission avait oublié l’accord des 3 fois 20 % des chefs d’Etat et de gouvernement intervenu un an plus tôt: réduire les émissions de l’UE de 20 %, porter à 20 % la part des énergies renouvelables et augmenter de 20 % l’efficacité énergétique d’ici à 2020.

A la vérité le paquet « climat / énergie » comporte cependant une allusion faite semble-t-il sans enthousiasme selon laquelle, peut-être, après 2012…des crédits carbone seraient, éventuellement, envisagés et un marché carbone créé, ce qui devrait rééquilibrer les choses en faveur du nucléaire. Une telle disposition assimilable à une taxe n’est pour l’instant guère populaire et personne ne se presse d’en proposer le mécanisme ou d’en chiffrer les paramètres.

A l’évidence les services de Bruxelles n’avaient pas pris en janvier la mesure des changements en cours à tel point que Andris Piebalgs, Commissaire à l’énergie, prônait soudain en avril des investissements nucléaires de grande ampleur avec pour triple objectif d’assurer la sécurité énergétique, des prix de l’énergie compétitifs et un développement durable.

Un mois plus tard, en mai, à Prague, José Manuel Barroso appelait à « un débat ouvert, sans tabou et sans idées préconçues ….et….à une approche graduelle de façon à permettre la recherche d’une convergence des règles de sécurité ». On le voit, s’il y a bien une évolution, celle-ci reste encore extrêmement timide alors qu’il n’y a plus de temps à donner au temps. On notera toutefois que ce qui était tabou dans l’Europe des 15 ne l’est plus dans l’Europe des 27.

 

Et voilà qu’en France, en pleine discussion de la loi Grenelle I, les services de Jean-Louis Borloo publiaient fin mai le ‘Bilan énergétique de la France pour 2007’ faisant apparaître 2007 comme une année médiocre :

Par ailleurs, une lecture attentive du bilan fait apparaître que le solde des exportations d’électricité du pays continue de se réduire, la faute incombant là aussi au nucléaire dont la ‘surproduction’ est en grande partie résorbée, avec des conséquences fâcheuses sur la balance commerciale du pays.

Sur ces entrefaites, au terme d’une discussion sur le pouvoir d’achat, le prix du pétrole, la nécessité de le substituer notamment dans les transports, François Fillon annonçait il y a quelques jours que le lancement d’un second EPR était à l’étude. Le Premier Ministre a même explicitement cité le nécessaire développement des véhicules électriques, ce qui paraît tout à fait remarquable face aux déclarations des défenseurs autoproclamés de l’environnement qui acceptent le véhicule électrique à la condition que, contrairement au TGV, il ne soit pas nucléaire !

Il y a loin d’une étude à une décision opérationnelle. Cette annonce illustre cependant le fait que le premier EPR aurait dû être commandé dix ans plus tôt qu’il ne l’a été. Un retard imputable d’abord à l’opposition des associations soulignant les risques d’un projet dépassé et caricaturant les dangers de cette forme d’énergie ainsi qu’au manque de détermination des autorités.

Pendant ce temps, les recommandations d’économies d’énergie sont restées sans grand effet et le recours à l’éolien comme seul moyen acceptable de production électrique est apparu comme extrêmement coûteux et aléatoire. En définitive il est malheureux que personne n’ait jusqu’à maintenant jamais recommandé la substitution de l’électricité au pétrole.

Il sera sans doute pittoresque d’entendre à ce sujet les commentaires des grands électriciens français (EDF, GDF, POWEO et SUEZ) qui, après avoir rivalisé entre eux pour promouvoir l’énergie éolienne, ont récemment souligné dans la presse leur engagement conjoint dans ce domaine.

On attend aussi avec quelque curiosité de voir comment ils justifieraient, tous quatre, leur engagement actuel et bien réel, mais discret, dans notre pays en matière de construction de centrales à flammes. S’agit-il, par exemple, de réaliser des installations pour accompagner le développement du parc éolien et pallier son faible taux de disponibilité, même dans les régions les plus propices ?

Bernard Lenail