TCHERNOBYL : La mise en examen du professeur Pellerin…et l’exception française

 

Article paru dans la Revue Générale Nucléaire, n°3 mai-juin 2006

 

Intervenue à la fin du mois de mai, la mise en examen du professeur Pierre Pellerin par la juge Marie-Odile Bertella Geoffroy marque un tournant dans l ’instruction du dossier Tchernobyl. En attendant les conclusions de la juge, qui devait procéder à plusieurs auditions  du professeur Pellerin durant les mois de juin et juillet, l’événement appelle deux premiers  commentaires :

 

Cette mise en examen satisfait une demande insistante de Pierre Pellerin lui-même. C’était en effet le seul moyen pour lui d’avoir accès au dossier, de prendre connaissance du rapport des deux experts mandatés par la juge ainsi que des argumentations fondant les plaintes déposées en mars 2001 par la CRIIRAD et l’Association Française des Malades de la Thyroïde ( AFMT ). Depuis cette date le professeur était dans l’ignorance de la teneur exacte des griefs formulés à son encontre. D’où les souhaits réitérés de son avocat, Me Georges Holleaux, qu’intervienne cette mise en examen, seule à même de permettre à P.Pellerin de se défendre et de répliquer de façon précise aux accusations dont il est l'objet.

 

La qualification des poursuites pour « blessures involontaires » et atteintes involontaires à l’intégrité d’autrui » initialement invoquées par les parties civiles (quelque 500 malades de la thyroïde agissant avec la CRIIRAD et l’AFMT ) a du être abandonnée en cours de procédure. En effet aucun lien de causalité n’est apparu, à la lumière de l’enquête, entre les retombées en France du « nuage » de Tchernobyl et les pathologies tyroïdiennes dont souffrent les  plaignants. La juge a ainsi été conduite à requalifier les poursuites en « tromperie aggravée », un délit du Code de la Consommation servant ordinairement à réprimer des infractions telles par exemple la vente de vins sous de fausses appellations. Cette nouvelle qualification laisse sceptiques bon nombre de juristes et d’avocats des parties civiles. Car la « tromperie » suppose la rupture d’un contrat explicite ou implicite. Or, il n’y avait bien entendu aucun contrat préalable, dans cette affaire, entre le professeur Pellerin et les plaignants. Par ailleurs, sur le fond, étant donné l’absence constatée de lien entre cancers de la thyroïde et retombées de Tchernobyl, on ne voit pas quel préjudice peut être attaché à la « tromperie aggravée » qui fonde aujourd’hui les poursuites.Si l’action de Pierre Pellerin n’a entraîné aucune « blessure » ou « atteinte à l’intégrité d’autrui », en quoi la tromperie » peut-elle être constituée ? Sur quoi porte-t-elle ? Quel détriment a-t- elle provoqué qui pourrait être opposable au professeur ?

 

Au-delà de ces considérations très largement partagées par les observateurs » de l’affaire - et qui soulignent la fragilité du dossier -on ne peut manquer de relever la stupéfaction avec laquelle a été accueillie à l’étranger la nouvelle de la mise en examen du professeur Pellerin dont la réputation reste vivace dans les milieux internationaux de la radioprotection). En témoigne, entre autres, un article de « Science » (vol.312- 9 juin 2006) qui traduit le sentiment général en s’étonnant que le débat fasse encore rage en France au sujet de l’attitude des autorités alors que le souvenir de Tchernobyl s’estompe dans la plupart des pays de l’ Europe de l’Ouest ». Rappelant les principales étapes de l’affaire, la prestigieuse revue évoque la « Lettre ouverte au Président de la République »( dans laquelle Georges Charpak, Pierre Messmer, Marcel Boiteux et plusieurs dizaines de personnalités condamnent les «odieuses attaques » dirigées contre le professeur Pellerin. « Science » rappelle également en conclusion de cet article le « Message aux  malades » publié par « Libération » en novembre 2005 dans lequel cinquante médecins et scientifiques spécialistes de la thyroïde et des effets des rayonnements indiquent qu’ « il n’y a pas d’effet Tchernobyl en France » et  regrettent que « les malades français [ de la thyroïde] soient devenus « les otages d’un lobby antinucléaire juridico-médical ».

 

Ce que traduit en fait la revue « Science » dans cet article qui a eu un certain retentissement c’est l’étonnement de la communauté scientifique et médicale face à ce que l’on peut appeler l’exception française dans l’affaire Tchernobyl. La France est en effet le seul pays - à notre connaissance - où une action en justice est intentée par des groupes de malades attribuant leur pathologie aux retombées du « nuage ».

Pourtant, mis à part le Portugal et l’Espagne, la plupart des pays d’Europe ont subi, sur tout ou partie de leur territoire, des contaminations radioactives  plus importantes que celles qui ont affecté la France. Cela ne conduit pas pour autant les citoyens de ces pays à voir dans chaque cancer de la thyroïde le produit direct des retombées de Tchernobyl ! Serait-ce parce que leurs autorités sanitaires, vigilants et irréprochables cerbères, les auraient mieux protégés que ce ne fut le cas en France ? La remarque laisse sceptique quand on considère la grande disparité des actions de protection sanitaire engagées dans ces différents pays par les autorités nationales ou régionales lors du passage du « nuage ». Concernant notamment les cancers de la thyroïde susceptibles d’être provoqués par l’iode contaminant les produits laitiers ou les légumes-feuilles, il est intéressant de se reporter au rapport OMS du 6 mai 1986 répertoriant les mesures édictées à cette date dans vingt pays européens : on constate qu’à l’exception de la  Suisse, et à un degré moindre, de la Pologne, de la Yougoslavie et de la Suède, aucun autre gouvernement n’a pris des mesures de restriction à la consommation de lait. Quant aux légumes cultivés en surface, seuls l’Autriche, la Suède et San Marin ont recommandé de ne pas les manger, les dix-sept autres pays recensés dans l’étude de l’OMS ayant laissé libre cette consommation,certains l’assortissant du conseil de laver les denrées au préalable…

 

Dans ces différents pays européens nulle action collective n’a été entreprise pour dénoncer de quelconques manquements, erreurs ou  tromperies des autorités sanitaires de l’époque. Il n’y a qu’en France que d’anciens responsables comme le professeur Pellerin sont convoqués en justice - sur des bases qui se révèlent d’une grande fragilité - et que se rencontre cette tendance obsessionnelle d’attribuer à Tchernobyl tout cancer de la thyroïde apparu après le 30 avril 1986 !…On comprend que cette exception française fasse l’étonnement de «Science » et des milieux scientifiques internationaux.

 

 

                               Francis Sorin