UARGA : Union des Associations de Retraités du Groupe AREVA

REMETTRE SUR LES RAILS N° 21

Juin 2006

 

A chaque énergie sa place.

Mais n’ayons pas peur de l’énergie nucléaire

 

Ce document, ainsi que les précédents numéros, peut être consulté sur le site

http://www.uarga.org

(anciennement: http://www.uarco-france.com)

 

Index

1.         La conjoncture, pour le nucléaire  1

2.         Suggestions pour tenter de venir à bout des préjugés sur le nucléaire (suite) 5

2.1.      Résistance de l’EPR au crash suicide d’un avion de ligne, type 11 septembre. 5

2.2.      Non, il n’est pas inutile de lancer un EPR maintenant, c’est même indispensable ! 7

2.2.1.       A ceux qui pensent qu’on peut se passer du nucléaire. 8

2.2.2.       A ceux qui pensent qu’il vaut mieux attendre les réacteurs de 4e génération. 8

2.2.3.       A ceux qui croient inutile un EPR prototype en France. 9

3.         Remises sur les rails sur des sujets divers  10

3.1.      Tchernobyl : attendez avant de blâmer ! 10

3.2.      La Hague, Greenpeace, combustibles usés étrangers et déchets. 13

3.2.1.       Eléments combustibles usés du réacteur de recherche australien. 13

3.2.2        Eléments combustibles hollandais. 14

 

 

 

1.   La conjoncture, pour le nucléaire

 

Commençons cette fois par les Etats-Unis, où les choses bougent beaucoup, avec des idées très réalistes et concrètes, et d’autres qui le sont peut-être moins.

 

Celle de revenir au retraitement[1] des combustibles usés comme stratégie de base fait son chemin, mais elle n’a pas encore été adoptée par le Congrès (Nuclear Fuel du 22 mai). La commission concernée de la Chambre des Représentants[2] n’est pas encore convaincue que cela vaille la peine d’étudier un nouveau procédé de retraitement, « Urex + », où le plutonium ne sorte pas pur comme de La Hague[3].

 

Pour comprendre de quoi il s’agit, il faut d’abord exposer les grandes lignes de ce que le Président Bush a baptisé GNEP, Global Nuclear Energy Partnership. (Rassurez-vous, nous ne vous donnons pas à lire ici des choses difficiles !)

 

Certains grands pays nucléaires étudieraient ensemble les moyens de répandre largement l’usage de l’énergie nucléaire dans le monde. Il faut faciliter grandement aux producteurs d’énergie nucléaire l’approvisionnement en combustible d’une part, la gestion des déchets d’autre part[4]. Il faut en même temps, encore plus qu’aujourd’hui si possible, minimiser les risques de prolifération des techniques nucléaires « sensibles »[5]. Le Président Bush souhaite pour cela que le plus petit nombre possible de pays mettent en œuvre industriellement les technologies du cycle du combustible[6].

·        Parlons d’abord de l’enrichissement de l’uranium et de la fabrication des éléments combustibles. Ceux qui le font déjà aujourd’hui, et eux seuls si possible, le feraient désormais pour tous les pays du monde intéressés.

·        Voyons maintenant le retraitement et la gestion des déchets. Un très petit nombre de pays reprendraient aux exploitants de centrales leurs combustibles usés (les déchargeant ainsi – du moins les petits pays en développement - de leur problème de gestion des déchets nucléaires de haute activité initiale et à vie longue). Ils les retraiteraient. Ils en extrairaient le plutonium (mélangé à des actinides mineurs si le procédé Urex + est mis au point et utilisé). Ce plutonium, un jour, alimenterait les réacteurs à neutrons rapides de 4ème génération.[7]

 

Pour en revenir à cette commission de la Chambre des Représentants, elle se demande si le Département de l’Energie ne devrait pas concentrer ses travaux de recherche et développement en priorité sur les réacteurs à neutrons rapides et leur combustible, domaine où subsiste encore pas mal d’incertitude technique et économique, plutôt que sur un nouveau procédé de retraitement. Ce n’est peut-être pas une mauvaise remarque ! Dans Nuclear Fuel du 13 mars, on lit le CEA d’une part, et Areva d’autre part, ont fait savoir qu’ils ont des choses à dire aux Américains, car ils ont déjà beaucoup travaillé à ces questions du retraitement/recyclage du futur.

 

Laissons là GNEP ! A plus court terme, le mécanisme voté par le Congrès pour aider les producteurs d’électricité à avancer dans leurs projets nucléaires, fonctionne bien, en ce sens que beaucoup de projets sont en train de prendre un tour concret, y compris des projets avec l’« US EPR ». Ce mécanisme comprend une sorte de garantie financière partielle pour le cas où certains délais surviendraient dans la procédure avant le lancement des travaux[8], et cela plaît bien. Les décisions de vraiment lancer la construction de centrales seront peut-être prises avant le terme du deuxième mandat du Président Bush, vu que les démocrates sont nettement moins enthousiastes que les républicains quant à l’énergie nucléaire.

 

Un article intéressant dans Nucleonics Week du 11 mai expliquait que, malheureusement, un tel mécanisme n’est pas possible en Europe, car les pays de l’Union Européenne n’ont pas le droit de subventionner leurs entreprises : les subventions ne peuvent venir que de l’Union Européenne. Or il faudrait l’unanimité des pays de l’Union pour les accorder, ce qui est actuellement impossible avec, en particulier, la position de l’Allemagne par rapport au nucléaire. La chancelière est pro-nucléaire, mais vous le savez, le nucléaire est un des sujets sur lesquels elle a dû accepter les conditions du SPD dans la coalition.

 

En fait, Areva ne se laisse pas prendre à ce raisonnement, et explique en particulier aux Anglais que le nucléaire n’a pas besoin de subventions. C’est que Tony Blair vient d’annoncer (avant même que l’étude qu’il a lancée pour le début de l’été en arrive à son rapport définitif) qu’il ne faut pas tergiverser : le nucléaire est indispensable pour remplacer le nucléaire vieillissant du pays. Areva explique (The Independent du 15 mai) : ce qu’il faut, c’est que vous, les Anglais, vous fassiez en sorte :

·        que vos procédures conduisant à l’autorisation de construire des centrales nucléaires deviennent aisées à suivre (streamlined),

·        que la population suive, soit favorable au nucléaire,

·        qu’il y ait une solution à vos problèmes de déchets.

Si tout cela est au point, pas besoin de subventions, le nucléaire par lui-même est rentable, avec, par exemple, l’EPR[9].

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D’autres pays semblent bientôt prêts à avancer :

·        le Brésil, pour finir le réacteur Angra 3 (on en parle depuis très longtemps, mais, d’après Le Point du 1er juin, Anne Lauvergeon serait optimiste), et pour éventuellement construire un réacteur de 3ème génération[10],

·        l’Afrique du Sud, pour une nouvelle centrale près du Cap,

·        les pays baltes, (confrontée à l’arrêt programmé de la centrale d’Ignalina, un RBMK[11], la Lituanie veut entraîner les deux autres pays baltes à construire en commun des centrales de type occidental),

·        la Turquie (mais les paroles prononcées en France sur le génocide arménien pourraient desservir Areva),

·        et peut-être à nouveau la Finlande, où un nouvel EPR est fortement envisagé ;

·        l’Inde aussi, si le Congrès américain finit par accepter le statut spécial que le Président Bush voudrait lui attribuer[12].

Bien sûr, Areva est en concurrence avec les autres constructeurs de réacteurs nucléaires. Nucleonics Week du 1er juin parle d’une étude envisageant la construction d’un réacteur AP1000 en Australie. L’AP1000 est le rival de l’EPR, également à eau pressurisée, proposé par Westinghouse. Rendez-vous compte : quel virage à 180° pour ce pays ! L’Australie se demande aussi maintenant si elle ne devrait pas construire des usines de conversion et d’enrichissement pour ne plus vendre simplement son uranium – dont elle dispose de gigantesques réserves – sous forme de concentré, mais sous la forme plus élaborée, l’hexafluorure naturel (qui alimente les usines d’enrichissement) ou enrichi[13]. De son côté, General Electric, constructeur de réacteurs à eau bouillante, doit avoir confiance en l’avenir puisqu’il vient de lancer l’extension de ses installations industrielles pour produire des composants de centrale et du combustible.

Quant aux réacteurs à eau lourde, trois pays qui en exploitent déjà envisagent d’en construire de nouveaux : le Canada, la Roumanie et éventuellement l’Argentine, sans qu’il soit exclus qu’ils choisissent en fin de compte d’autres types de réacteurs.

 

Venons-en à la Chine : toujours pas de décision à la date où nous écrivons, pour les quatre réacteurs de 3ème génération. Vous savez qu’Areva avec son EPR est en concurrence avec Westinghouse, en cours de rachat par Toshiba. Ce rachat doit « mettre un peu de bazar » dans le dispositif de nos concurrents car, jusqu’ici, le grand allié japonais de Westinghouse était Mitsubishi Heavy Industries, dont Toshiba était le grand rival. Les Chinois sont des gens circonspects et de durs négociateurs.

 

Au Japon, l’usine de retraitement, copie presque conforme de l’usine UP3 de La Hague et construite avec la supervision de SGN, filiale d’Areva, a cisaillé son premier combustible irradié le 31 mars 2006, dans le cadre d’une autorisation provisoire de 18 mois, qualifiée campagne d’essais actifs. Elle fonctionne depuis lors dans de très bonnes conditions. Les Japonais apprécient beaucoup la façon dont la France les a accompagnés dans ce grand projet. La politique du Japon a de tout temps été favorable au retraitement. Le gouvernement serait d’ailleurs tout prêt à envisager qu’à terme, ce pays devienne partenaire dans le système GNEP dont nous parlions au début de ce chapitre. Les industriels sont plus réservés : cela risquerait de brouiller par des questions de long terme les messages que reçoit la population du pays sur le plutonium et le combustible Mox[14]

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En France, vous le savez, les débats publics généraux sont terminés. Après celui sur les déchets radioactifs, le gouvernement à soumis au Parlement un avant-projet de loi où, pour ce qui concerne le nucléaire :

·        les trois voies de recherche de la loi Bataille seront approfondies dans les dix années qui viennent ; mais

·        le stockage en profondeur des déchets de haute activité initiale et à vie longue est considéré comme la solution de référence, sous réserve de confirmation par les travaux complémentaires sur le site de Bure et dans une zone de 200 km2 alentour.

Après les députés, les sénateurs ont adopté en première lecture le projet de loi, qui prévoit un nouveau vote du Parlement dans dix ans sur la question de la réversibilité du stockage. On annonce que le vote en seconde lecture devrait intervenir incessamment. Le fait que le texte annonce une solution est très important.

 

Après le débat public sur l’EPR, le gouvernement a confirmé la volonté de construire le prototype à Flamanville. Le conseil d’administration d’EDF en a pris la décision. L’enquête publique commencera fin juin et les commandes vont être lancées. Nous expliquons au paragraphe 2.2 ci-dessous combien c’est important, contrairement à ce que pensent certains hommes politiques. Il y a au moins trois raisons que vous lirez, mais l’une d’elles est simple, elle est en particulier expliquée par M. Mestrallet, président de Suez : le temps des surcapacités de production d’électricité en France sera très prochainement révolu. Il faut construire rapidement des centrales électriques, y compris nucléaires. Suez (ou ce que deviendra cette société) a depuis longtemps le désir de construire un EPR.

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2.   Suggestions pour tenter de venir à bout des préjugés sur le nucléaire (suite)

 

Justement, nous vous proposons aujourd’hui de discuter surtout de l’EPR. On en parle beaucoup en ce moment :

·        de façon très positive parce que c’est le fleuron de l’industrie franco-allemande : on en a déjà vendu un à la Finlande, il intéresse les Etats-Unis, la Chine, l’Inde et bien d’autres pays, et EDF, nous venons d’en parler, vient de confirmer sa décision d’en construire un à Flamanville ;

·        mais aussi de façon négative : d’une part certains en France prétendent que c’est une mauvaise décision d’EDF, que cet EPR est inutile (nous pensons le contraire) ; et d’autre part la résistance de l’EPR à un « crash suicide » du type 11 septembre 2001 fait l’objet d’une controverse, avec des développements récents assez extraordinaires !

Nous nous efforçons, dans ce numéro, de vous donner quelques solides arguments pour répondre aux questions qu’on vous pose[15]. Nous parlerons d’abord du crash suicide, pour aborder ensuite les raisons pour lesquelles il faut soutenir EDF dans sa décision de construire « Flamanville 3 ».

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2.1.      Résistance de l’EPR au crash suicide d’un avion de ligne, type 11 septembre

 

Vous vous en souvenez, lors du débat public sur l’EPR, les associations antinucléaires avaient vivement protesté : la Commission Particulière du Débat Public avait « caviardé » six lignes du texte présenté par le Réseau Sortir du nucléaire, extraites d’un document confidentiel – défense. Il est naturellement interdit de publier tout ou partie d’un tel document. (Comment était-il parvenu au « Réseau » ?) Six lignes traitant de notre sujet d’aujourd’hui, la résistance au crash d’un gros avion commercial ! Vous comprenez bien, disait en substance « Le Réseau », on voulait éviter de rendre ce document public pour cacher les graves faiblesses de l’EPR ! La plupart des organisations antinucléaires ont alors refusé de participer au débat public.

 

Depuis lors, ce débat public a cependant eu lieu, et nous venons d’évoquer les décisions prises par le gouvernement et EDF.

 

Mais voilà que Stéphane Lhomme, du Réseau Sortir du nucléaire, ainsi qu’un certain nombre d’élus antinucléaires, viennent de rendre public sur leurs sites Internet le fameux document confidentiel – défense !

 

Ce n’est pas à Remettre sur les rails de formuler un avis sur l’action de violer les règles du confidentiel - défense. Les réflexions que nous vous proposons seront sur un tout autre registre.

 

Les antinucléaires qui publient ce document croient détenir une bombe médiatique, prouvant qu’une attaque d’avion du type 11 septembre 2001 sur l’EPR conduirait à un désastre. Ils affirment que le « confidentiel – défense » visait à empêcher que le public l’apprenne. Beaucoup de médias le répètent. Peu nombreux sont les journaux qui comprennent que ce n’est pas cela.

 

De quoi s’agissait-il en vérité ? L’EPR avait été conçu pour résister à l’impact d’un avion militaire tombant par accident à très grande vitesse. L’épaisseur de ses parois de béton, et la disposition des bâtiments, protègeraient le réacteur de conséquences sanitaires graves. Mais le cas d’une attaque par un très gros avion commercial chargé de kérosène n’avait pas été envisagé. Après le 11 septembre 2001, la Finlande lance son appel d’offres, où la résistance à une telle agression est explicitement spécifiée. La France, pour l’EPR qu’elle envisage de construire chez elle, demande cela aussi. Areva et EDF étudient s’il est possible de modifier certaines caractéristiques du réacteur pour que, même dans la cas très peu probable de l’impact d’un tel avion[16], les conséquences sanitaires soient acceptables. Et la réponse est « oui, c’est possible » ! La méthode pour faire cette étude, les critères[17] et hypothèses qu’on a envisagé de se fixer[18], et quelques lignes résumant les résultats qualitatifs de l’étude à la date du courrier qu’EDF adresse à l’Autorité de sûreté : voilà ce qu’est le document.

 

Les critères qu’EDF proposait en 2003 à l’Autorité de sûreté pour cette analyse n’étaient évidemment pas « dommage zéro ». Les antinucléaires professionnels hurlent que l’EPR « ne résisterait pas », et pas mal de journalistes leur emboîtent le pas ! Or justement l’étude dit le contraire : il faudra augmenter les épaisseurs de béton et renforcer certaines structures. Moyennant quoi les bâtiments « bunkérisés » ne seraient pas détruits, et l’incendie, la boule de feu que formerait le kérosène après le choc, ne pénètrerait pas dans les bâtiments bunkérisés.

 

Renforcer béton et structures, c’est une partie de ce qu'a fait Areva. Elle l’a fait pour que, même dans l’hypothèse, extrêmement difficile à réaliser par des pilotes, d’un avion commercial qui « réussirait » à se « crasher » à l’un des plus mauvais endroits, il ne s’ensuive pas de dommage nucléaire autre que mineur du point de vue des conséquences sanitaires. Retenez, en conclusion, une information, rapportée par Nucleonics Week du 18 mai : Le client finlandais et l’autorité de sûreté finlandaise s’estiment très satisfaits de l’offre d’EPR en ce qui concerne l’éventualité de crash d’avion[19].

 

C’est la meilleure réponse à Greenpeace qui fait parler John Large, un « expert » bien connu pour ses prises de position antinucléaires. Il conclut à des négligences sérieuses, mais s’appuie sur des assertions fausses. Par exemple, dit-il (Associated Press le 19 mai) : « … EDF néglige à son avis le risque d’une attaque contre les bâtiments voisins du réacteur, notamment celui abritant les piscines pouvant contenir jusqu’à 1200 tonnes de combustible radioactif, contre 100 tonnes pour le réacteur. « Le réacteur est construit pour résister à des chocs, les autres bâtiments sont conçus pour que la pluie reste dehors », a-t-il plaisanté. » Il a dû lire que « la piscine est extérieure au confinement », ce qui est exact ; cela veut dire : extérieure à la double enceinte en béton entourant le réacteur. Mais, pas de chance pour John Large, le « bâtiment combustible », qui contient cette piscine, est, lui aussi, « bunkérisé »[20] ! Ce n’est pas la première fois que John Large travestit la vérité pour donner des arguments à Greenpeace, son client.

 

En résumé, vous pouvez expliquer à vos interlocuteurs que le document confidentiel – défense publié par Stéphane Lhomme confirme :

·        qu’il est pour un pilote très difficile d’atteindre tout réacteur nucléaire, en raison de ses dimensions et de son environnement,

·        que l’enceinte de confinement en béton est déjà une protection remarquable par rapport aux autres installations de notre société moderne,

·        que pour l’EPR, version modifiée après les évènements du 11 septembre, même un impact des plus gros avions, aussi bien ciblé que possible du point de vue des kamikazes, ne conduirait pas à des dommages vraiment graves du point de vue sanitaire.

 

Terminons, sur ce sujet du crash d’avion commercial, en commentant l’article de Libération du 20 mai : « …l’existence du document polémique a engagé un processus d’instruction entre EDF et l’Autorité de sûreté nucléaire, qui a demandé à l’exploitant d’opérer des modifications en 2004. Processus dont les échanges sont tenus secrets évidemment. » En vérité l’existence même de ce document, échangé entre EDF et l’Autorité de sûreté, montre que le processus de transformation du projet était déjà engagé avant que Stéphane Lhomme commence à en parler et lance la polémique ! Les choses, redisons-le, se sont passées de la façon suivante : le client finlandais a inscrit la résistance au crash d’un gros avion commercial dans son cahier des charges. Areva a adapté la conception de son réacteur en conséquence, avec l’aide d’EDF qui désire de même que son EPR soit capable de résister à une attaque du type 11 septembre. La phrase de Libération, qui donne à penser que c’est grâce à la polémique ouverte par le Réseau Sortir du nucléaire qu’EDF a transformé son projet, induit donc le lecteur en erreur.

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2.2.      Non, il n’est pas inutile de lancer un EPR maintenant, c’est même indispensable !

 

On lit dans la presse que certains prennent la parole pour dire : Certes, le gouvernement et EDF lancent la construction de l’EPR à Flamanville. Mais si la droite est battue aux prochaines élections, nous voulons arrêter cette construction !

 

Nous voudrions contribuer à convaincre les politiques, même Verts, et avant eux, les journalistes, de la nécessité impérieuse de construire l’EPR comme il vient d’être décidé.

 

Nous avons trois types de personnes à convaincre :

·        ceux qui pensent qu’on peut se passer du nucléaire,

·        ceux qui pensent qu’il vaut mieux attendre l’arrivée des réacteurs de 4e génération,

·        ceux qui comprennent l’utilité de l’EPR, mais pensent qu’on n’en a pas besoin maintenant.

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2.2.1.   A ceux qui pensent qu’on peut se passer du nucléaire

 

Ils pensent qu’il suffit d’accentuer les efforts pour économiser l’énergie. D’après eux, les énergies renouvelables alors suffiront. Ils ont raison de dire qu’il faut économiser, nous sommes de leur avis, et nous nous efforçons de le faire autant qu’eux, mais il faut répéter sans relâche que cela ne peut suffire, car la consommation d’énergie continuera de croître dans le monde (près de 3 % par an lors des cinq dernières années).

 

C’est notre bataille permanente, d’essayer de les convaincre qu’il n’y a pas de solution durable à la crise de l’énergie sans le nucléaire. Et vous connaissez bien les arguments qu’il ne faut cesser de leur répéter :

 

·        Malgré ces efforts d’économie d’énergie, même augmentés, et un emploi raisonnable des énergies renouvelables, un jour prochain viendra où les ressources en combustible fossile seront devenues trop faibles face aux besoins du monde. Même les économies d’énergie ne suffiront plus. Nos enfants vivront cela. Nos petits-enfants se demanderont avec beaucoup de rancune pourquoi nous n’avons pas davantage pensé à eux !

·        Le réchauffement climatique est indéniable. On constate bel et bien le recul des glaces, celles des glaciers, celles du Groënland, etc… Il est en grande partie dû au CO2 que dégage la combustion des combustibles fossiles : charbon, pétrole et gaz. On n’est certes pas sûr de détenir un modèle mathématique valable pour prédire l’ampleur de ce réchauffement, sa cadence. Mais il est certain qu’on vit quelque chose de grave. Et des écologistes véritables, de grand renom, tels que James Lovelock, ont crié leur angoisse, et l’urgence de recourir au nucléaire qui n’émet pratiquement pas de gaz à effet de serre. Avec lui, Patrick Moore, co-fondateur de Greenpeace, et bien d’autres, supplient aujourd’hui les écologistes du monde d’abandonner leurs préjugés contre le nucléaire. Remettre sur les rails, recommande ardemment aux journalistes d’intensifier leur effort pour faire reconnaître le bien-fondé de ces appels.

·        Souvent les antinucléaires prétendent que le nucléaire, de toute façon, n’a pas d’avenir, car il manquerait de matière première, à peu près au même moment où l’on manquera de pétrole ou de gaz. Vous savez ce qu’il faut leur répondre : il y a des réserves d’uranium pour plus d’un millénaire ! Construisons des réacteurs à neutrons rapides (de 4ème génération) ! Ils permettent de valoriser le composant majeur (99,3 %) de l’uranium naturel, qui est l’uranium 238, alors que nos réacteurs actuels, à neutrons thermiques, utilisent essentiellement l’uranium 235, qui n’en représente que 0,7 %. Il faut si peu d’uranium naturel pour alimenter un réacteur à neutrons rapides que son coût n’a qu’une infime incidence sur le prix du kilowattheure. Même l’uranium cher sera utilisable. Pourvu qu’on utilise les réacteurs à neutrons rapides, il y a assez d’uranium dans la nature pour plus d’un millénaire. Par-dessus le marché, il y a le nucléaire au thorium, dont les réserves naturelles sont le triple des réserves d’uranium ! Non, la matière première ne manquera pas !

·        Le nucléaire est jeune, il a 50 ans, l’âge du chemin de fer en 1880. Le nucléaire d’aujourd’hui est à celui du futur ce que le tortillard de 1880 était au TGV. Se battre contre le nucléaire est devenu un combat d’arrière-garde.

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2.2.2.   A ceux qui pensent qu’il vaut mieux attendre les réacteurs de 4e génération

 

Ils pensent que, effectivement, il est judicieux d’avoir largement recours à l’énergie nucléaire, mais ils ont entendu parler d’une 4e génération de réacteurs, dotés de toutes sortes d’avantages (comme vous le savez bien, tout ce qui est encore mal connu est paré de tous les avantages, on ne perçoit les difficultés que lorsque les études ont bien avancé). Ils se demandent pourquoi ne pas simplement attendre leur arrivée sur le marché en continuant à exploiter les réacteurs d’aujourd’hui.

·        L’essentiel des réacteurs de 4e génération seront à neutrons rapides, forts différents de nos réacteurs actuels à eau pressurisée et à neutrons thermiques[21] Certains sceptiques croient qu’on peut sans danger attendre leur mise au point. Ils ne croient pas les prévisions suivant lesquelles on mettra encore longtemps avant de disposer de modèles de réacteurs de 4ème génération, non seulement fiables, mais rentables, qu’on puisse construire en grande série. Nous pensons qu’ils ont tort. Nous avons largement développé ce sujet dans le n° 14 (février 2004) de Remettre sur les rails, § 2.3.

·        Mais il est un autre élément que presque personne ne connaît parce que les industriels ne le mettent pas volontiers en avant en public, alors qu’il est essentiel : si, comme on peut le penser, on réussit à développer les réacteurs à neutrons rapides, on continuera pourtant à avoir besoin en même temps  de faire fonctionner des réacteurs à eau pressurisée jusqu’en 2080 environ : il faudra les faire fonctionner pour constituer le stock de plutonium destiné à former les premiers cœurs de ces nouveaux réacteurs à neutrons rapides de 4ème génération. On aura besoin de 14 tonnes de plutonium par réacteur de 1000 MWe[22]. Des réacteurs à eau pressurisée jusqu’en 2080 ? Vous voyez bien qu’il est exclu que nos réacteurs d’aujourd’hui puissent être maintenus en service jusqu’à cette date ! Donc il faudra construire encore d’autres réacteurs à eau, il faudra construire des EPR en grand nombre !

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2.2.3.   A ceux qui croient inutile un EPR prototype en France

 

Pourquoi lancer maintenant un prototype d’EPR?

 

Les responsables ont raison d’expliquer qu’on veut d’abord construire chez nous un prototype, bien voir comment il fonctionne, avant d’en lancer sans doute une série pour prendre la relève des réacteurs actuels vieillissants.

 

Mais vous pouvez expliquer que cela répond à une autre nécessité. En effet les Français ne se rendent pas compte du fait que notre surcapacité de production d’électricité est en passe de disparaître ! M. Mestrallet, président de Suez, interviewé par France-Info le 16 janvier, expliquait cela très bien : Je crois qu’il y a trois temps. Effectivement il y a le réacteur de 4e génération, qui, lui, sera plus efficace, produira moins de déchets. Il y a l’EPR qui va commencer à produire à partir de 2013 en France, mais il en faudra davantage en Europe et je pense qu’il y a une prise de conscience désormais en Europe … qu’il n’y a pas de solution sans le nucléaire. Il ne faut pas faire le tout nucléaire, mais il n’y a pas de solution sans nucléaire. Et dans l’intervalle, on va commencer à manquer de capacité de production électrique en Europe, je dirais presque dès à présent, en France à partir de 2008, et ça ne peut pas être le nucléaire, c’est trop tard, ça sera donc probablement des centrales au gaz et il faut donc construire des centrales au gaz, en France et en Europe ...

 

Ainsi un EPR, dont le délai avant mise en service est plus long (2012), ne sera pas de trop. La presse a d’ailleurs rapporté que le Premier Ministre avait même envisagé un temps d’en lancer prochainement plusieurs !

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3.                  Remises sur les rails sur des sujets divers

 

3.1.      Tchernobyl : attendez avant de blâmer !

 

Le triste 20ème anniversaire de Tchernobyl nous a valu un festival !

 

Une première observation est que, pour la première fois peut-être, ce n’est pas l’avenir du nucléaire qui était mis en cause dans la plupart des journaux, car on en comprend de plus en plus l’intérêt. Ce qui est toujours remis en cause, c’est l’honnêteté des responsables du nucléaire, à l’époque (1986) et maintenant.

 

Le principal raisonnement qu’on lit dans la presse est très simple : tout le monde a dit qu’il y avait danger dans les pays d’Europe de l’Ouest, sauf en France. C’est donc que, en France, le lobby nucléaire a caché des informations et a truqué les chiffres. D’ailleurs, deux experts ont été commis par un juge pour analyser des documents « perquisitionnés » chez le Professeur Pellerin, ils ont trouvé des choses graves. Le Professeur Pellerin vient d’être mis en examen !

Ce que la presse ne dit pas, c’est qu’il a demandé lui-même à être mis en examen, pour avoir accès au dossier judiciaire, et en particulier au rapport des experts, MM. Genty et Mouthon. Ce rapport, contrairement à ce qu’affirme la presse, n’est pas public.

Jamais la presse ne dit non plus que le Professeur Pellerin a porté plainte pour diffamation contre de nombreux antinucléaires, et qu’il a gagné tous ses procès.

Nous vous proposons de rappeler les éléments suivants :

·        .L’industrie nucléaire française n’a et n’avait à l’époque aucun intérêt à minimiser la gravité de l’accident. Oui, il s’agit d’une véritable catastrophe, mais d’une catastrophe soviétique. Rien, dans le nucléaire de ce qu’on appelait autrefois le monde libre, ne ressemble à ce qu’était le nucléaire soviétique. Exemple : il n’y avait pas d’autorité de sûreté distincte de l’exploitant des centrales ! L’équipe de la centrale de Tchernobyl s’est permis de court-circuiter quelque chose comme six sécurités pour faire une manip interdite ! Alors le réacteur s’est emballé et tout a sauté.

·        On ne saura jamais combien il en est résulté de victimes, pour plusieurs raisons :

o      dans les pays proches de Tchernobyl, la population a été profondément secouée physiquement et psychologiquement par l’accident (déménagement forcé, peur rétrospective, etc..), ce qui a des répercussions sur l’organisme ; mais la chute du régime soviétique, intervenue peu après, s’est traduite dans tout les pays de l’ancienne URSS par une désorganisation et un appauvrissement qui ont eu simultanément des conséquences sur la santé des gens, avec aggravation de l’alcoolisme, etc... Quand une personne tombe malade alors, à quoi l’imputer ?

o      on discute énormément de l’effet des faibles doses (< 100-200 mSv[23]) : sont-elles un facteur de risque de cancer proportionnellement beaucoup plus faible que les fortes doses, comme le pensent, par exemple, les Académies de Médecine et des Sciences françaises, ou proportionnellement équivalent comme le postule la réglementation ? Notons que pour les faibles doses, les études épidémiologiques ne montrent aucun effet significatif et les données récentes de la radiobiologie montrent que la défense de l’organisme est beaucoup plus efficace. Une proportion infime, mal connue et surestimée d’une immense population, cela fait combien ?

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·        Ce qu’on appelle le nuage est un panache, dont les vents dispersent peu à peu les particules radioactives dans un volume de plus en plus grand ; et chaque particule perd de sa radioactivité avec le temps par décroissance naturelle des éléments radioactifs, plus ou moins vite en fonction de leur période[24].

·        Il est faux que les autorités aient dit que le « nuage » s’était arrêté à la frontière. C’est une invention journalistique. Le Professeur Pellerin a été l’un des premiers à apprendre que quelque chose de grave s’était produit, car il avait fait installer dans les avions des filtres à air sur lesquels on a pu mesurer et analyser la radioactivité dès le 29 avril (la première alerte ayant été donnée en Suède le 27, mais l’Agence Tass n’a annoncé un accident grave en URSS que le 29). Le SCPRI[25] l’a fait savoir aux agences de presse, et a continué à publier des communiqués chaque jour. Lorsque le « nuage » est arrivé en France, il l’a fait savoir tout de suite. Ainsi le 2 mai, Libération écrivait : Pierre Pellerin le Directeur du SCPRI a annoncé hier que l’augmentation de la radioactivité était enregistrée sur l’ensemble du territoire sans danger pour la santé. Ce qui n’a pas empêché le même journal d’écrire le 12 mai : Les pouvoirs publics en France ont menti, le nuage radioactif de Tchernobyl a bien survolé une partie de l’Hexagone : le Professeur Pellerin en a fait l’aveu deux semaines après l’accident nucléaire.

·        Le Professeur Pellerin était sans doute la personne au monde le mieux formée pour porter un jugement sur le risque pour les populations. Il avait en effet, à l’époque des essais aériens de bombe atomique (américains, soviétiques, anglais, français, chinois), mis en place en France tout un réseau pour détecter en chacun de ses points l’arrivée des matières radioactives, et en suivre les retombées, puis l’assimilation par les végétaux et les mammifères : autrement dit, leur transmission dans la chaîne alimentaire. Cela explique qu’avec sang-froid, prenant connaissance des chiffres lors de l’accident en 1986, il ait recommandé aux Français de ne pas changer leurs habitudes alimentaires, sauf pour les produits importés. Tout autre responsable qui ne dispose pas d’une telle connaissance se dit : bloquons tout, avant de savoir ! Mais quand on connaît, on pense à l’affolement des futures mamans qui vont se faire avorter, et aux agriculteurs qui vont perdre inutilement leurs récoltes. Est-ce mal, de se dire qu’il ne faut pas affoler les gens si ce n’est pas nécessaire ? Ne doit-on pas être fier d’avoir eu un homme qui a pris ses responsabilités, au risque d’être critiqué ?

·        Il faut cependant reconnaître que le Professeur Pellerin aurait mieux fait d’expliquer au public comment il fondait ses recommandations.

·        Quant aux cartes des retombées radioactives en France, vous savez que de gros écarts sont signalés entre les chiffres diffusés rapidement en 1986 par le service du Professeur Pellerin, d’une part, et d’autre part, ceux que l’IRSN a calculés a posteriori à partir de mesures faites au sol de nombreuses années après. Pour pratiquement tous les journaux, c’est le Professeur Pellerin qui a tort. D’après nos informations, ce n’est pas le cas. Nous n’aborderons pas ici tous les points, mais quelques uns dont vous pouvez essayer de vous souvenir :

o      les cartes du SCPRI de contamination des sols en césium sont approximatives et comportent des erreurs, mais elles n’ont pas été utilisées pour la gestion urgente des retombées de l’accident début mai 1986. Les décisions ont été prises à partir des mesures de contamination de l’air et de l’eau de pluie, et de l’estimation du « terme source[26] ». Les cartes de contamination du sol n’ont été établies que secondairement, en particulier avec les données d’une campagne de mesures simplifiées (sol + végétation) qui s’est déroulée jusqu’en juillet 1986.

o      Les fascicules du SCPRI (juin et juillet 1986) donnent les cartes de contamination totale moyenne des sols en césium 134 et 137, le résultat de chaque mesure, et des cartes de contamination du lait (moyenne et maximum par région et par période).

o      La contamination du sol en césium, contrairement à ce que prétendent certains, ne permet pas d’estimer les doses reçues par les populations : un sol très contaminé correspond à de fortes pluies, mais pas à une contamination proportionnelle des aliments. En effet, au delà de 15 mm de pluie, la contamination des « légumes feuilles » et de l’herbe (donc du lait) n’augmente plus.

o      Le ruissellement d’eau a déplacé les particules radioactives. Cela explique qu’on trouve aujourd’hui dans des réceptacles naturels des concentrations élevées. Il n’est pas facile rétroactivement de déterminer à partir d’où les particules radioactives ont cheminé, c’est-à-dire où elles sont réellement tombées lors de l’accident. C’est pourtant cela qu’a fait l’IRSN. Le débat complet est, il faut le reconnaître, une affaire de spécialistes. Le Professeur Aurengo, chef du service de médecine nucléaire du groupe Pitié-Salpétrière à Paris, considère que l’IRSN a essayé de calculer les retombées avec un modèle qui repose sur des hypothèses fausses. Ses mesures ont l’inconvénient de n’être pas représentatives du territoire et de ne pas pouvoir différencier Tchernobyl des essais nucléaires (car trop tardives pour estimer le césium 134).

Une communication à l’Académie des Sciences explique très bien pourquoi ces reconstitutions a posteriori surestiment les retombées de Tchernobyl[27].

§        Disons un mot du cas de l’iode radioactif et des plaintes d’habitants de France atteints de cancer de la thyroïde. Dans le numéro 14 de Remettre sur les rails (février 2004), § 4.5, était rapportée la position des médecins spécialistes français en la matière : tout indique qu’il n’y a pas de relation entre les cancers de ces personnes et l’accident de Tchernobyl. Le rapport d’avril 2006 de l’Institut de Veille Sanitaire (InVS) confirme ce point, en se fondant sur les données les plus récentes de la surveillance sanitaire. Il en va différemment, bien sûr, des enfants de l’époque, qui habitaient au voisinage de Tchernobyl, en Ukraine, Biélorussie ou Russie.

 

En conclusion, le Professeur Pellerin a été mis en examen, pour tromperie aggravée, ce qui est une accusation terrible. Mais Madame le juge vient seulement de le recevoir avec ses éléments de défense. Ceux qui le dénigrent, l’accusent de mensonge, feraient mieux d’attendre le jugement !

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3.2.            La Hague, Greenpeace, combustibles usés étrangers et déchets

 

Voici deux cas où Areva se voit condamnée dans des affaires où elle était convaincue d’être dans son droit ! Nous savons bien que ce n’est pas le rôle de Remettre sur les rails de faire la moindre critique sur des décisions de justice, et nous ne le faisons pas. Mais nous pensons qu’il est utile de donner quelques explications sur ces deux cas.

 

3.2.1.      Eléments combustibles usés du réacteur de recherche australien

 

Le 7 décembre 2005, la Cour de Cassation confirmait une décision de la Cour d’Appel de Caen suite à une plainte de Greenpeace. Areva était condamnée pour stockage illégal de déchets étrangers (Nuclear Fuel du 19 décembre 2005). Il s’agissait des éléments combustibles en plaques du réacteur de recherche australien. Très rapidement après ce jugement, les dernières autorisations ont été transmises à Areva par l’autorité de sûreté et le retraitement a pu commencer. L’uranium très enrichi des combustibles australiens est récupéré par Areva sous une forme diluée et très peu enrichie. Il est vrai que l’uranium ne sera pas repris par le client comme c’est le cas d’habitude.[28] En l’occurrence, il s’agit de l’ANSTO, organisation australienne pour la science et la technologie nucléaires. Elle n’a aucune installation nucléaire industrielle. Mais l’uranium, mélangé dans l’usine de La Hague à celui qui vient des réacteurs de production, sera bel et bien comptabilisé et réutilisé par Areva. C’est donc bien une ressource valorisée par le retraitement.

 

Les tribunaux ont cependant jugé que les textes conduisaient à considérer ces éléments combustibles comme des déchets… Ce n’est pas à Remettre sur les rails  de le discuter.

 

Mais profitons de cette occasion pour rappeler qu’il est extrêmement utile d’effectuer le retraitement de ces combustibles. En effet, ils étaient constitués avec de l’uranium très enrichi, et ils restent très enrichis malgré l’irradiation. Il est donc indispensable, pour un pays, de les conserver sous une garde sérieuse, car vous savez bien que l’uranium très enrichi est une des matières qui pourraient servir à fabriquer des bombes atomiques. A quoi bon, pour un pays, à quoi bon les conserver avec cette très sérieuse contrainte, plutôt que de les faire retraiter ? La Hague est le lieu idéal où les envoyer. Parallèlement les Etats-Unis[29] et plus récemment la Russie (AFP, 29 mai), poussés par l’AIEA[30], consacrent un budget significatif à faire à peu près la même chose que la France, avec les combustibles usés des réacteurs de recherche dispersés dans de nombreux pays du monde. Dans leur cas, personne n’exige que le traitement du combustible ait lieu très rapidement après son arrivée sur le territoire des Etats-Unis !

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3.2.2        Eléments combustibles hollandais

 

Greenpeace, dans l’élan de cette issue positive pour lui, a saisi en référé le tribunal de grande instance de Cherbourg pour dénoncer l’importation illégale [par Areva] de déchets nucléaires hollandais (Associated Press le 7 février). Le 3 mars (La Presse de la Manche), le tribunal a ordonné à Areva, sous peine d’astreinte, de communiquer à Greenpeace une copie certifiée conforme des contrats de retraitement signés avec l’électricien hollandais EPZ ainsi que le calendrier de retour détaillé des déchets. Sous le vocable déchets, le tribunal entend : l’uranium, le plutonium, les déchets vitrifiés, les déchets technologiques et déchets de procédé. Le président du tribunal … a … considéré que « les incertitudes du calendrier de retraitement, la dangerosité des marchandises entreposées et les perspectives pour le moins fort lointaines de retour aux Pays-Bas peuvent être constitutives d’un dommage dont il appartient au juge des référés de prévenir l’imminence, en ordonnant une mesure d’instruction. »

 

Areva fait appel. Ici, il s’agit de l’activité de base d’Areva, le retraitement des combustibles usés des réacteurs produisant l’électricité aux Pays-Bas. Ce pays a mis du temps avant d’être prêt à recevoir les déchets provenant du retraitement, parce que la réalisation des installations destinées à les entreposer a été retardée par l’opposition antinucléaire ! Au départ, soit avant la construction de ces bâtiments, il ne pouvait donc y avoir de calendrier précis de retour.

 

Greenpeace, antinucléaire comme chacun sait, a cherché où les textes juridiques existants permettaient de mettre le doigt pour s’opposer au retraitement. Heureusement, la loi sur les déchets, qui vient d’être votée en seconde lecture par le parlement au moment où nous terminons la rédaction de ce numéro de Remettre sur les rails, est rédigée de telle façon que la situation devrait être plus claire.

 

Vous pouvez rappeler à vos interlocuteurs les éléments suivants :

·       Le retraitement des éléments combustibles usés et le recyclage ultérieur des matières fissiles est salubre pour la Terre : il permet de tirer le meilleur parti de ses ressources. Il permet aussi de retirer aux déchets qu’on va devoir stocker en stockage géologique la majeure partie de leur radioactivité à très long terme, en en retirant le plutonium.

·       Il est très sain que les centrales nucléaires expédient leurs éléments combustibles usés dès qu’ils ont assez « refroidi », pour les envoyer à La Hague où il y a toute la place voulue pour les recevoir et les entreposer de façon sûre jusqu’au jour de leur retraitement.

·       Areva est obligée de constituer des stocks avant retraitement pour optimiser sa production.

·       L’usine de La Hague comprend des cuves de très gros volume où des matières de diverses provenances se mélangent. Les déchets qui en résultent sont eux-mêmes des mélanges. Pour remédier honnêtement à cette « perte d’identité des matières », COGEMA, maintenant Areva, s’est mise d’accord par contrat avec ses clients sur la manière de leur renvoyer, dans leurs déchets de chaque catégorie, scrupuleusement les quantités de radioactivité qui leur reviennent.

·       La loi de 1991 interdit de conserver des déchets étrangers sur le sol français plus longtemps que les délais techniques nécessaires. L’esprit de cette phrase est que le parlement n’a pas voulu qu’il reste sur le sol ou dans le sol de France des déchets des autres[31]. Quand Greenpeace attaque Areva en parlant de stockage illégal de déchets australiens ou hollandais, vous voyez bien qu’ils parlent des produits arrivant à La Hague, donc avant retraitement. Ils sont appelés à être transformés. Ce ne sont pas les déchets au sens de l’esprit de la loi de 1991. C’est pourquoi on peut se réjouir que la loi nouvelle précise mieux les mots. Sans doute notre autorité de sûreté nationale tirera-t-elle aussi quelques enseignements de ces affaires, en adaptant ses procédures, là où c’est nécessaire, aux textes juridiques français et européens.

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[1] “Retraitement » est le nom ancien que nous, les retraités, avons utilisé pendant notre carrière, la traduction anglaise étant « reprocessing ». Aujourd’hui Areva utilise le mot « traitement », que nous réservions autrefois au traitement des minerais. Que ceux de nos lecteurs qui sont maintenant habitués au mot « traitement » pour ce qu’on fait à La Hague nous pardonnent d’en rester aux termes qui nous sont plus familiers !

[2] House Appropriation Committee

[3] Si le plutonium est mélangé à des atomes radioactifs tels que les « actinides mineurs » il est, pensent-ils, encore plus difficile à manipuler. Certains y voient une garantie supplémentaire contre le piratage. Dans les réacteurs à neutrons rapides du futur, les actinides mineurs seront fissiles et seront donc eux-mêmes du combustible.

[4] ceci à la condition que leur pays se soit engagé à n’avoir aucune activité dans le domaine nucléaire militaire

[5] du point de vue du risque de prolifération des armes atomiques, bien sûr

[6] Vous savez qu’on entend par « cycle du combustible » l’ensemble des opérations qui permettent, à partir du minerai d’uranium (ou de thorium), de fabriquer le combustible des centrales ; puis ; à la sortie des centrales, de gérer les matières nucléaires : retraitement des combustibles usés et recyclage des matières réutilisables.

[7] Ils en tireraient aussi des déchets, bien sûr. Cf. Remettre sur les rails n°20 de février 2006, §1.

[8] Une telle garantie serait accordée pour les six premières unités qui seront construites.

[9] European Pressurised water Reactor, conçu par Framatome et Siemens réunis, étudié conjointement par les autorités de sûreté de la France et de l’Allemagne

[10] tel que notre EPR

[11] comme Tchernobyl

[12] Comme nous le disions dans le dernier numéro, il faut du temps pour faire mûrir l’idée qu’un pays non signataire du TNP puisse recevoir l’aide technique et économique des autres pays dans le domaine nucléaire.

[13] L’Australie a inventé un procédé d’enrichissement original, appelé Silex, qu’il reste sans doute à développer pour en faire un procédé industriel.

[14] Mox : Mixed Oxide, oxyde mixte d’uranium et de plutonium.

[15] Le débat public  qui s’est terminé récemment, a mis en évidence d’autres sujets, tels que la réticence de certains habitants, en particulier dans la Manche, à voir passer les lignes électriques à haute tension au-dessus de leurs terres. Mais comme d’habitude, notre intention n’est pas d’aborder tous les sujets.

[16] Impact très improbable pour tout réacteur nucléaire, car un réacteur est minuscule par rapport aux tours du World Trade Center, et très près du sol. Par ailleurs, naturellement, les autorités depuis le 11 septembre ont réfléchi aux moyens d’éviter que des avions puissent venir percuter les centrales et autres lieux sensibles, moyens militaires, obstacles physiques sur la trajectoire de l’avion…

[17] Le relâchement de radioactivité considéré comme acceptable dans ce document (mais il est bien possible que l’on se soit fixé ensuite des exigences encore plus strictes) est 15 000 fois plus faible qu’à Tchernobyl. Cela ne veut pas dire qu’on aurait eu autant en cas de crash, mais qu’on aurait refusé la conception modifiée du réacteur si les calculs avaient donné un relâchement de radioactivité supérieur.

[18] à l’époque où ce document a été rédigé ; il n’est pas dit que ce soient les critères et hypothèses finalement retenus.

[19] Nucleonics Week du 18 mai écrit : « Tiippana [ chef du projet Olkiluoto 3 de l’autorité de radioprotection et de sûreté nucléaire finlandaise, STUK] a dit que la plupart des questions concernant les crashs d’avion ont été réglées. STUK a reçu quatre rapports sur le sujet : deux de ses consultants, un d’un consultant de TVO [le client] et un d’Areva, et « nous sommes tout-à-fait convaincus que (l’EPR) peut résister à des crashs. »

[20] Revue Générale Nucléaire de décembre 2004, article d’Andreas Goebel : EPR : l’installation générale, § 4.3.

[21] c’est-à-dire plus ralentis que les neutrons rapides

[22] Lire: 1000 mégawatts électriques, soit un million de kilowatts.

[23] mSv se lit millisievert : c’est l’unité de dose, autrement dit, d’effet de la radioactivité sur le corps.

[24] La période d’une sorte d’atomes radioactifs (de radionucléides, disent les scientifiques) est par définition le temps au bout duquel ces atomes ont perdu 50% de leur radioactivité.

[25] Le SCPRI, Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants. Son directeur était le Professeur Pellerin, un médecin dépendant du Ministère de la Santé, n’avait aucun intérêt à défendre l’industrie nucléaire.

[26] Les spécialistes appellent « terme source » la matière radioactive (quantité et nature) présente avant sa dispersion. Ici, il s’agit de la matière sortie du réacteur de Tchernobyl en conséquence de l’accident.

[27] Cette communication présentée en 2002 s’intitule : « Données métrologiques et évaluation des risques en France lors de l’accident de Tchernobyl (26 avril 1986). Mise au point historique ». Les auteurs sont Pierre Galle, Raymond ¨Paulin et Jean Coursaget. Elle explique en particulier que pour différencier les retombées de Tchernobyl de celles des essais militaires des années 1960, il suffisait de faire rapidement après Tchernobyl des prélèvements de sol en surface et d’y mesurer la « composition isotopique » du césium, c’est-à-dire le rapport entre les césiums 134 et 137 ; mais que ce n’était plus possible quinze ans après car le césium 134, de période 2,2 ans, avait alors disparu. Voici un court extrait : « Toutes les mesures de césium 137 effectuées sur prélèvements postérieurs à mai 1986, par carottage à plus de 10 cm (voire 40 cm) de profondeur, surestiment considérablement la retombée de 1986, en lui ajoutant tout ou partie de celle des grands tirs aériens de 1961 – 1966. De plus, le fait de choisir systématiquement, pour y effectuer des carottages profonds, les zones de ruissellement, moraines, cônes de déjection, dépressions de stagnation, etc., où, notamment en altitude, il est connu depuis plus de 40 ans que le césium 137 se rassemble a posteriori, conduit à accroître les évaluations quantitatives faites dans ces conditions, comme les modélisations de trajectoires de l’iode 131 au moment de l’accident, à partir de l’état présent des dépôts de césium 137 : actuellement, ils ne sont plus représentatifs de la distribution au sol du césium de Tchernobyl en mai 1986. »

[28] De plutonium il n’y a que des traces de plutonium dans ce type de combustible. Il sera retourné au client avec les produits de fission, sous la forme du colis vitrifié de déchets.

[29] Pour récupérer les éléments combustibles des réacteurs de recherche d’Europe, toute une démarche vertueuse est décrite par Nuclear Fuel du 9 mai. Elle est entreprise conjointement par la Cerca, filiale d’Areva, producteur d’éléments combustibles de réacteurs de recherche, et par le Département américain de l’Energie.

[30] Agence Internationale de l’Energie Atomique

[31] Il y a des arguments pour discuter le bien-fondé de cette décision. Il est possible que les idées, donc la loi, évoluent dans dix ou vingt ans, mais ce n’est pas notre propos d’en débattre aujourd’hui.