QUELLES  ENERGIES  VOULONS-NOUS  POUR DEMAIN ? (23 avril 2012)

 

 

Nos besoins en énergie sont multiples. Parfois apparents avec le chauffage, l'éclairage, le transport, les appareils électroménagers, mais aussi cachés car tout ce qui nous entoure a sa part dans notre consommation d'énergie: nourriture, vêtements, informatique... tout!

 

Plusieurs limites à cette consommation vont nous être imposées, à nous et surtout à notre descendance: l’indisponibilité des énergies fossiles, pétrole, gaz, charbon, dans un proche avenir pour les premiers dès 2050, bien plus tard pour le charbon. Mais là, une autre limite se profile avec le bien connu effet de serre causé par l’accumulation de gaz carbonique résultant de la combustion. Il dérègle le climat, déjà sensiblement de nos jours, mais bien plus à la fin du siècle si la part du charbon continue de croître. A remarquer que par rapport aux populations de la Chine et de l'Inde réunies, la France ne représente que moins de 3% de ces rejets, et ne peut donc quantitativement compenser leur croissance de niveau de consommation d'énergie. Mais il y a un exemple de « civisme climatique » à donner. A  noter que nos concitoyens produisent un des plus bas rejets mondiaux de gaz à effet de serre car l'électricité qui constitue une forte proportion de notre consommation d'énergie ne provient qu'à moins de 10% de la combustion grâce à notre parc nucléaire. On ne peut guère faire mieux, même si l'arrivée de transport automobile à batteries électriques pourrait encore réduire ce niveau.

 

Face à cette situation, et compte tenu des délais importants nécessaires à l’inflexion d’une politique énergétique, il faut dès maintenant définir des objectifs pour cette réorientation des moyens de production. Plusieurs scénarios ont été mis sur la table. Ils induisent, comme on va le voir ci-dessous, au-delà d’un accroissement très important des coûts du KWh, des modifications plus ou moins profondes de nos modes de consommation de l’énergie voire de notre mode de vie

 

Le plus extrémiste est le scénario Négawatt préparé par des associations anti-nucléaires. Il a pour objectif d’aboutir dès 2050 à une production d’électricité sans combustibles fossiles et sans nucléaire. Pour cela il veut nous entrainer bien bas, en divisant par 3 notre consommation d'électricité. Plus de pétrole ni de charbon; seul le gaz subsisterait dans cette civilisation de manque de tout à condition qu'il soit produit par la « chaîne vertueuse » éolienne-électricité-électrolyse-hydrogène-méthane. Une « sobriété de moine » pour parler comme nos anciens nous serait imposée allant jusqu’à promouvoir une alimentation demandant peu d'énergie et de transport; pas  de viande donc. Le mégawatt heure rendu à domicile reviendrait à environ 6 fois le coût actuel, ce qui inciterait fortement à ne plus chauffer, donc à adopter des logements à « énergie positive » situés nécessairement dans du collectif. Tout l’habitat individuel parce qu’énergivore serait donc prohibé, à démolir et à reconstruire en immeubles.... Les voitures électriques non plus ne bénéficieraient d'aucune grâce et ressembleraient presque aux voitures actuelles mais alimentées par un bio-carburant de 2ième génération, c'est-à-dire n'utilisant pas la fermentation de cultures nourricières; à un prix que nul ne peut chiffrer puisque les procédés sont au stade de la recherche. A moins que l'on ne se rabatte uniquement sur les circulations douces et les transports en commun!

 

L'électricité serait produite par le vent et le soleil, propres mais intermittents: en termes d'efficacité maximum environ 2000 heures de vent par an et 1000 heures de soleil par an, alors qu'il y a 8760 heures dans une année (et 8784 heures cette année bissextile). Y'a comme un défaut...malgré le bouclage prévu à l’échelle du continent qui ne pourra pas, malgré un réseau électrique fortement étendu, faire que par exemple, le vent allemand ou bulgare ou norvégien compense le manque de vent français et vice versa, à tout moment. Ceci est largement démontré par l’expérience.  Le complément est élégamment prévu avec la chaîne vertueuse précédente et stockage-combustion du gaz, ce qui implique une puissance de crête (puissance installée) 5 à 10 fois supérieure à la puissance consommée moyenne pour tenir compte des pertes dans cette chaine électrochimique complexe. Les quantités d'énergies à transporter, électricité et gaz, pourraient donc être très supérieures à ce qui est transporté actuellement, d'autant plus que la position de la France entre le sud de l'Europe  (Espagne) et le nord-est (Grande Bretagne, Belgique, Allemagne, Pays Bas...) la qualifie pour un transit  intense d'électricité. Il  faudrait donc au moins doubler les réseaux de transport électrique, et peut-être aussi de gaz car des turbines à gaz seraient quand même nécessaires pour fournir l'électricité de pointe. A moins que les pointes de votre consommation ne soient effacées à distance par un « réseau intelligent » qui vous imposerait les coupures dont il aurait besoin afin de limiter la consommation face à une production insuffisante. Bienvenue dans le monde du dirigisme énergétique!

 

Le poste énergie directe (chauffage + électricité + carburant) d'environ 10% des dépenses d'un foyer actuellement serait porté à plus de 20% par foyer. Très cher le monastère....

 

L'exemple Allemand est cité par Négawatt , puisqu'une décision politique a été prise d'arrêter sept  réacteurs nucléaires après l'accident de Fukushima. Ces réacteurs obéissaient pourtant aux règles de sûreté allemandes, au moins aussi sévères que les règles françaises. Leur économie n'était pas en cause, alors que les Allemands payent leur électricité 30% plus cher qu'en France. Maintenant, les Allemands importent l'électricité de 3 réacteurs nucléaires français en moyenne, et construisent frénétiquement des centrales à charbon, combustible pourtant « sale » d'après les riches écologistes Allemands, mais qui est produit en quantité chez eux. C'est le sud industriel qui a le plus besoin d'énergie et les lignes de transport d’électricité sont actuellement insuffisantes pour transporter l’énergie éolienne produite essentiellement au Nord du pays.  Ces éoliennes ont comme partout un rendement de l'ordre de 20% en moyenne annuelle (jusqu’à 40%  lorsqu’elles sont implantées en mer). Pour garantir leur approvisionnement à long terme, les Allemands verrouillent (à un prix élevé) leurs contrats d’achat en grande quantité de gaz Russe. Est-ce vraiment un exemple, malgré des opérations médiatiques valorisant les expériences d’habitat à énergie positive, cette dépendance aux fournitures étrangères, ces prix en augmentation constante et une élévation durable de production de gaz à effet de serre?

 

Un autre scénario Négatep, bien plus réaliste et qu'il ne faut pas confondre avec le précédent, a été élaboré sur le même constat de raréfaction des énergies fossiles et la nécessité de sobriété énergétique de moindre rigueur pour conserver une qualité de vie acceptable. Du coup, l'électricité fournirait l'énergie manquante, avec aussi un apport des énergies du vent et du soleil, mais surtout une augmentation de l'énergie électrique nucléaire. Les réacteurs seraient bien sûr conçus et exploités avec les renforcements de la sûreté décidés suite aux évaluations complémentaires de sûreté (ECS) inspirés par l'accident des réacteurs de Fukushima. A la différence du scénario précédent, les conséquences sur la vie quotidienne des français resteraient limitées et les coûts qui sont ici bien connus  ne dépasseraient que d'une dizaine de pour-cent les coûts actuels.

 

Le vent et le soleil sont bien présents dans ces plans, avec en particulier une forte implication de l'éolien maritime de plus forte régularité, environ 30% en moyenne annuelle. Il n’en reste pas moins que l'intermittence de cette production, nécessite d'avoir toujours en réserve une puissance de l’ordre de 60% de la puissance totale de crête des éoliennes, qui sera considérable dès 2020 d’autant plus que comme dans le scénario Negawatt cette ressource sera la base de la distribution aux consommateurs. L'expérience des mois de janvier et février 2012 a en effet montré des pointes de 65% de la puissance éolienne installée pendant plusieurs heures, mais aussi des baisses de puissance à moins de 10% pendant plusieurs jours. C'est ruineux pour la France, qui accepte néanmoins de payer actuellement ces énergies 2 fois plus cher  pour l'éolien terrestre, 4 fois plus cher pour l'éolien maritime, et 8 fois plus cher pour le photovoltaïque. Sans compter le prix des centrales et énergies de remplacement et les lignes de raccordement électrique supplémentaire.

 

Deux remarques avant de clore ce court exposé sur l'énergie:

L'énergie hydraulique des barrages n'a pas été évoquée car reconnue utile et propre par tous, avec une expérience de plus de 50 ans. Elle est particulièrement apte à fournir rapidement de l'électricité de pointe pendant quelques heures, car elle représente environ 10% de la puissance installée. Les installations hydrauliques peuvent aussi être utilisées en sens inverse pour consommer de l’électricité produite en excès par les moyens intermittents ou à bas coût par le nucléaire pour remonter l’eau et créer ainsi des réserves d’énergie pour les moments de pointe. Mais le processus est lent et ne peut pas être utilisé pour suivre les variations de charges très rapides telles que celles induites par les éoliennes.

La combustion de charbon pourrait être rendue propre si l'on séparait le gaz carbonique produit par la combustion et qu'on le stockait sous une forme stable. Ceci pourrait néanmoins doubler le coût de production de l'électricité, ce qui pourrait rester acceptable devant les coûts prévisionnels des autres combustibles fossiles dans les années 2050. On sait également produire du carburant automobile de synthèse avec le charbon, à un coût élevé aussi, mais compétitif avec un baril de pétrole dont le prix s'envole. En attendant cette séquestration du gaz carbonique qui est loin d'être décidée, la Chine produit 83% de son électricité par combustion du charbon, entraînant 500000 décès par an, lors de l'extraction du charbon ou par cancer du poumon dû à l'inhalation des fumées. Aux Etats Unis, ce sont chaque année 24000 personnes qui décèdent pour les mêmes raisons selon l’Association américaine du poumon, car 50% de leur électricité provient du charbon. En Allemagne, pour compenser la production des centrales nucléaires arrêtées par décision politique, 30 centrales à charbon de 880 MWe, chacune tourneront dès 2017, pas meilleures qu'aux Etats Unis, ce qui donnerait 4500 décès annuels avec les mêmes ratios. Si l'on considère que, mondialement, c'est 40% de l'électricité qui est produite par la combustion du charbon, ce serait des centaines de milliers de décès annuels qui pourraient être imputés à cette source d'énergie. De plus, l'effet de serre très important du gaz carbonique va s'amplifier, avec les effets bien connus de dérèglement climatique déjà perceptibles: sécheresses et famines à certains endroits, tornades et inondations ailleurs. N'aggravons pas ces risques certains pour en éviter d'autres bien moins graves.

 

 

Comme on le voit dans les quelques lignes ci-dessus le débat sur l’avenir énergétique de la France est loin de se limiter, comme certains ont tendance à vouloir le faire, à un choix entre «sortir ou non du nucléaire». Le nucléaire est ressenti par une majorité de nos concitoyens, même s’ils l’acceptent pour une grande partie d’entre eux compte tenu des bénéfices évidents qu’il procure, comme un risque « subi » car réputé avoir été imposé sans concertation par la technocratie. Or, les rares cas d’irradiation dangereuse en France se sont essentiellement produits lors de traitement médicaux.

D’autres risques comme le tabac, l’alcool, ou l’insécurité routière, qui causent chaque année un grand nombre de victimes, sont mieux acceptés par la société car ils sont considérés comme « choisis ».

Peut-on faire que le risque nucléaire devienne un risque « choisi » au niveau de la société ?

Pour cela un vrai choix devrait être fait à ce niveau fondé sur un débat dépassionné et honnête. Celui-ci devrait être soigneusement organisé, mettant bien en évidence les différentes alternatives ouvertes avec toutes les conséquences induites par les choix qui seront faits. Car il ne faudrait pas que pour supprimer un « risque nucléaire soit disant subi » on mette en œuvre un scénario qui, par les hypothèses non réalistes qu’il prendra en compte, entrainera des « risques subis » différents tels que la pénurie d’énergie, des coûts insupportables, la forte dépendance à des fournisseurs étrangers ou, pire encore, la soumission des familles à des règles de vie qu’elles n’auront pas librement choisies.

 

”Document rédigé par la commission énergie de l'ARA (Association des retraités de SGN-Ingénierie d'AREVA)
avec la participation des rédacteurs de l'ARSCA”.