Après l’engouement, haro sur les biocarburants

(20 mai 2008)

 

Les internautes fidèles à notre site savent sans doute que nous avons, à différentes reprises, exprimé quelques critiques quant à l’utilisation inconsidérée des biocarburants au nom de la défense de l’environnement (voir notamment notre rubrique La biomasse) . Défenseurs nous-mêmes de l’environnement et partisans du développement durable, nous prônons une intensification des recherches devant permettre un recours rapide aux biocarburants de 2ème génération, dont aucun n’est commercialisé à l’heure actuelle.

En effet, cette source d’énergie est non seulement renouvelable, contrairement au pétrole et au gaz mais est aussi susceptible, à rendement énergétique comparable, de conduire à de moindres rejets de gaz à effet de serre.

 

Les biocarburants de 1ère génération, sujets aujourd’hui à contestation, sont de deux types : biomasse à glucides (céréales, betteraves, maïs ou canne à sucre) et biomasse oléagineuse (colza, tournesol, palmier à huile). Le premier conduit par distillation à l’éthanol, le second à la production d’huiles et d’esters combustibles (biodiésels).

 

Contrairement aux biocarburants actuels produits avec une partie – généralement faible, seule la graine le plus souvent – de la plante, ceux de 2ème génération mettront à contribution la totalité des végétaux (pailles, fourrages, tailles d’arbustes à croissance rapide, bois, déchets ligneux, bagasses de canne à sucre, etc.). On estime que, avec ces différentes matières premières nécessitant essentiellement la mise en œuvre de procédés thermochimiques de fermentation par voie humide, il sera possible d’améliorer les bilans énergétiques et environnementaux. Par ailleurs, et cela est extrêmement important, une montée en régime des productions de cette 2ème génération ne devrait pas amener de concurrence importante entre les surfaces affectées à la production de biocarburants et celles consacrées aux productions alimentaires.

 

Devenus ‘intéressants’ économiquement grâce au renchérissement du cours du pétrole,  les biocarburants actuels sont de médiocres sources d’énergie quand on fait le bilan énergétique complet, soit énergie nette disponible déduction faite de l’énergie dépensée pour la production – culture, engrais, ramassage, distillation pour ce qui est de l’éthanol, distribution, etc. On imagine que ce bilan peut-être facilement faussé selon que l’on affecte peu ou beaucoup du coût énergétique aux sous-produits fatals obtenus (tourteaux et produits d’alimentation du bétail) qu’on sait produire par des voies directes beaucoup moins voraces en énergie.

 

Par ailleurs l’impact sur l’effet de serre est très variable d’un pays à l’autre, selon la source d’énergie utilisée pour la distillation (électricité nucléaire ou non, combustibles fossiles). Il peut être sensiblement plus favorable en France qu’il ne l’est en Autriche ou au Danemark par exemple.

 

Rappelons enfin que le Brésil, toujours cité en modèle, a généralisé l’usage des biocarburants pour s’affranchir d’une trop grande dépendance au pétrole et pour valoriser son fort potentiel agricole mais que les considérations « environnementales » n’ont joué aucun rôle. Cela étant le biocarburant y est produit de façon tout à fait favorable en ce sens que la bagasse – sous-produit de la culture de canne à sucre – est utilisée comme source d’énergie pour la distillation, ce qui est très avantageux…

 

 

.. .et voilà que, coup sur coup, en l’espace de moins de deux mois, quelques uns des plus anciens et plus actifs promoteurs des biocarburants opèrent soudain un complet revirement : des ministres verts allemands demandent l’arrêt  de l’utilisation des céréales pour produire des biocarburants alors que la Commission européenne abandonne son objectif d’assurer 10% des transports de l’année 2020 avec les  biocarburants et incite, à demi-mot, les états de l’Union à faire de même ; l’Autriche comme l’Angleterre reconsidèrent d’ores et déjà la question. La France, pour sa part, n’envisage qu’une pause du programme de production et d’utilisation de l’éthanol et n’envisage pas de renoncer aux investissements lancés ; il est vrai que le programme est encore récent et quelque peu en retard (en 2010, seulement 300 000 hectares seraient consacrés à ces cultures soit environ 1% des terres agricoles – pas de quoi pavoiser mais pas de raison non plus de craindre de conséquences fâcheuses). Comme c’est souvent le cas chez les derniers convertis, la foi semble y être plus solidement ancrée que chez les anciens ; peut-être aussi la France compte-t-elle sur l’Europe qu’elle présidera prochainement pour se résoudre à une révision de ses objectifs.

 

On notera que ceux qui, aujourd’hui, recommandent l’abandon des biocarburants (ou du moins de l’éthanol) après les avoir longtemps prônés, se servent de la flambée des cours des matières alimentaires pour expliquer leur changement de position, argument quelque peu spécieux, mais bien commode, car il évite de souligner le médiocre bilan énergétique et environnemental de l’éthanol ainsi que le coût considérable d’adaptation du parc automobile au nouveau carburant. Il est vrai par ailleurs que les milieux agricoles, et pas seulement français, ne sont pas mécontents des nouveaux développements à la veille de la révision de la Politique Agricole Commune : L’alimentation doit rester la priorité absolue de la production agricole. L’enjeu est de nourrir les 9 milliards d’êtres humains que comptera la planète en 2050…a indiqué Michel Barnier, pourtant grand et ancien défenseur de l’environnement. Dans un registre plus brutal, Jean Ziegler, rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation, n’a pas hésité à déclarer … les biocarburants constituent un crime contre l’humanité.

 

Espérons, quant à nous, que les biocarburants ne vont pas disparaître et que les recherches concernant ceux de 2ème génération seront vivement encouragées : la planète en a besoin ainsi que ses habitants à condition que le coût en soit supportable et que leur développement ne compromette pas la satisfaction des besoins alimentaires. Il serait en effet tout à fait préjudiciable que ces programmes soient abandonnés, condamnés avec des arguments excessifs comme ceux qu’on entend parfois du genre il faut choisir : se nourrir ou se déplacer, ou encore se chauffer ou se déplacer.

Nous saluons également le fait, une fois n’est pas coutume, que soit pris en compte le principe de réalité en matière de choix énergétiques et espérons que, à l’avenir dans ce domaine essentiel, cela devienne la norme.

Ceux de nos lecteurs désireux de poursuivre l’analyse des liens possibles entre biocarburants et produits alimentaires liront avec intérêt l’analyse d’Antoine Bouët, (Economiste senior à l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires) sur le site de Telos à l’adresse suivante : http://www.telos-eu.com/fr/article/les_biocarburants_sont_ils_coupables

 

                                                                                                          Bernard Lenail