L’usine de retraitement japonaise démarre (31 mars 2006)

 

Voilà, l’usine JNFL sur le site de Rokkasho Mura (nord du Japon) démarre : les premiers essais en actif ont commencé le 31 mars 2006. Ils devraient durer jusqu’à août 2007. C’est l’aboutissement de plus de 25 ans de persévérance japonaise, efforts tenaces, coûteux, au milieu de beaucoup d’incompréhension et d’une certaine crainte.

Nos félicitations vont à tous ceux, électriciens, industriels et responsables qui ont permis cet aboutissement.

 

 

Rappelons quelques dates

 

La création de JNFS, aujourd’hui JNFL, remonte à l’année 1980. C’est en effet à cette date que tout ce qui compte dans l’industrie nucléaire japonaise a décidé de se rassembler dans une société extraordinaire de 100 actionnaires pour conduire un projet d’usine de retraitement. En 1989 une demande d’autorisation de créer l’usine est déposée. L’autorisation est obtenue en 1992 et JNFL se voit reconnaître la qualité de ‘réprocesseur’. La construction peut enfin commencer en 1993….Les premiers assemblages de combustibles usés sont livrés pour mener à bien divers essais en 1998 mais les transports commerciaux ne commencent qu’en 2000.

 

Lancement enfin il y a quelques années du projet J-MOX, usine de fabrication de combustibles MOX d’une capacité de 130 tonnes par an, mitoyenne de l’usine de retraitement. La construction sur le terrain pourrait commencer mi 2007 pour un démarrage commercial en 2012.

 

25 ans, un quart de siècle……d’autres que les japonais se seraient peut-être découragés. Certains actionnaires il est vrai ont quitté le navire dans l’intervalle, ceux qui après avoir espéré s’enrichir avec un projet-phare craignaient finalement d’être emportés par un projet qu’ils ne maîtrisaient pas, puisqu’ils n’avaient aucun poids réel sur les décisions: progressivement toutes les décisions allaient être prises par les leaders parmi les électriciens, ceux-ci étant à la fois les clients et les financiers et tenant tous les postes de commande.

 

 

Une coopération très étroite entre les réprocesseurs français et japonais

 

Très tôt dans le projet une solide alliance est nouée entre JNFL et COGEMA/SGN, alliance qui ne s’est pas démentie jusqu’à aujourd’hui : l’essentiel du procédé est celui de l’usine UP3 de La Hague (à l’exception notable de la vitrification, ainsi que de la ‘fin Uranium’ et le compactage des déchets solides) ; certains des équipements les plus sensibles sont identiques, les cadres et chefs d’équipe ont tous parfait leur formation à La Hague jusqu’à l’an dernier. Aujourd’hui encore, une solide équipe française est en soutien sur place à Rokkasho.

 

 

Un projet mené avec détermination mais semé d’embûches

 

Un projet pharaonique du fait de sa durée même, du fait de la taille du site (une usine de retraitement, des entreposages de déchets en surface, une usine de fabrication de combustibles, des installations logistiques liées aux transports,…), mais une capacité totale encore limitée (800t, soit la moitié environ de celle de La Hague),…avec enfin des contraintes très sévères découlant des règles de sûreté et des précautions extrêmes prises à tous niveaux par JNFL. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que certaines hésitations au sein même de la maîtrise d’ouvrage soient apparues et que certaines mises en cause de la part des autorités politiques aient surgi, encore récemment à Tokyo (2002/2004).

 

Plus récemment encore, alors que l’exploitation de l’usine est placée sous son contrôle intégral, l’AIEA, inquiète des développements en Corée du Nord et en Iran, a soudain souhaité bloquer le projet comme tous les autres projets en matière d’enrichissement ou de retraitement ne présentant pas un caractère international.

 

Sur le plan politique, le projet n’a pas cheminé tel un long fleuve tranquille. Dès le début il a  inspiré une grande méfiance de la part des Etats-Unis comme des voisins du Japon, il a provoqué un nombre considérable de disputes entre les différentes autorités, autorités centrales à Tokyo, pouvoir régional du gouverneur d’Aomori et pouvoir local du maire de Rokkasho, à telle enseigne qu’une réunion au plus haut niveau a dû se tenir à Tokyo le 27 mars 2006 entre le ministre du METI et le gouverneur d’Aomori en présence du secrétaire général du Cabinet du Gouvernement Central pour discuter des conditions de démarrage de l’usine et assurer une nouvelle fois le gouverneur que les déchets de haute activité ne resteraient pas stockés à Rokkasho de façon définitive, avec pour conséquence que dès le 29 mars le gouverneur ainsi que le maire de la ville de Rokkasho signaient avec JNFL l’Accord de Sûreté donnant ainsi à l’exploitant le feu vert final pour démarrage de l’usine. Cet accord était ensuite signé par les maires des autres localités voisines de l’usine, un processus qui n’a pas dû être facile à mettre au point mais qui témoigne bien du caractère consensuel de la mise en service de l’usine.

 

Au plan local, celui de l’acceptation de l’usine par le public, les choses se sont en revanche plutôt bien déroulées : les habitants voyant que leur région essentiellement agricole était peu à peu désertée par les jeunes ont bien accueilli un projet industriel d’envergure dont ils espéraient d’importantes retombées financières or on sait qu’en ce domaine les compagnies électriques japonaises n’ont pas pour habitude de lésiner. De leur côté les autorités locales ont négocié leur soutien/leur non opposition, selon les années, contre un effort gouvernemental d’investissement en terme de structures (routes, ponts, train rapide, etc ) qui est aujourd’hui encore loin d’être achevé.

 

 

Mais un projet mené au travers  d’aléas malheureux

 

Les retards répétés rencontrés au Japon dans l’utilisation du plutonium : arrêt pendant une douzaine d’années (1995/2008) suite à une fuite de sodium du réacteur rapide de Monju 18 mois seulement après son démarrage en 1994 et fiasco du programme MOX des deux compagnies Tokyo Electric et Kansai Electric, leaders respectivement des centrales BWR et PWR. A la suite de sérieux défauts de maintenance de ses centrales la première s’est vue interdire par les gouverneurs de Fukushima et  de Niigata d’introduire dans ses centrales des combustibles MOX déjà dans les piscines des réacteurs et  interdire, encore tout récemment, de déposer une nouvelle demande d’autorisation alors que la seconde a dû renvoyer en Angleterre un premier lot de combustibles (affaire des falsifications) et  a dû par ailleurs demander à Cogema de ‘défabriquer’,avant même sa livraison, tout un lot de combustibles fabriqués à Melox du fait de défauts dans le dossier japonais. Ces difficultés n’ont évidemment pas manqué de soulever la question suivante : pourquoi retraiter quand on ne sait pas quoi faire du plutonium? Question bien connue des réprocesseurs français.

 

Heureusement, la page est maintenant tournée. Toujours empêtrés dans leurs difficultés Tokyo Electric et Kansai Electric se sont fait doubler par Chubu Electric qui vient de signer avec AREVA un important contrat qui lui permettra de recycler dans le réacteur n°4 de la centrale d’Hamaoka, un réacteur BWR, tout son plutonium en attente à La Hague. Le combustible MOX sera introduit progressivement dans le cœur à partir de 2010 (48 assemblages de type 8X8) pour atteindre jusqu’à 312 assemblages, soit environ 40% du cœur. D’autres compagnies pourraient suivre prochainement puisque Kyushu Electric vient d’obtenir les derniers feux verts pour utiliser des combustibles MOX et que Shikoku Electric est bien parti pour atteindre sous quelques mois la même situation. Pour qui sait qu’au Japon rien de nouveau ne se fait avant que les grands leaders nationaux des deux filières PWR et BWR n’aient ouvert la voie avec succès, ces derniers développements montrent qu’une petite révolution se déroule sous nos yeux: les suiveurs historiques prenant le flambeau des leaders quelque peu défaillants. Il est cependant permis de penser que Kansai Electric pourra reprendre prochainement ses projets MOX. On rappelle à cet égard que, parmi tous les électriciens étrangers, cette compagnie celle qui a lait livré la plus grande quantité de combustibles à l’usine de La Hague.

 

 

Mais aujourd’hui des perspectives prometteuses

 

Chacun sait que l’usine qui démarre est de capacité insuffisante pour couvrir tous les besoins japonais mais gageons que ses dirigeants auront à cœur que la montée en capacité soit prudente….S’il est important en effet de retraiter les combustibles usés et de recycler le plutonium, il n’est jamais urgent de le faire. Quoi qu’il en soit, depuis plus d’un an il circule au Japon l’idée de doubler l’usine actuelle, une idée déjà très ancienne mise en sourdine depuis plus de 10 ans mais dont la relance n’a créé aucun émoi.

 

Plus récemment encore des voix influentes au Japon, députés et anciens députés de la Diète et des universitaires célèbres, se sont élevées pour souligner que le Japon ne doit pas garder pour lui seul le bénéfice de ses capacités en matière de cycle du combustible nucléaire et devrait au contraire faire bénéficier ses voisins d’Asie de ses capacités en matière d’enrichissement, de fabrication de combustibles uranium, mais aussi ce qui est très significatif et nouveau, en matière de retraitement et de fabrication de combustible MOX. Déjà reprise par le gouvernement, cette idée est cohérente avec la prise de contrôle ce Westinghouse par Toshiba.

 

Tout cela prendra du temps, beaucoup de temps, à l’instar des projets grandioses des présidents Bush et Poutine dans ce domaine mais il est piquant de voir que dans cette course pour l’avenir, le Japon ainsi que la France ne sont pour une fois pas dénués d’avantages : ils disposeront l’un et l’autres de toutes les technologies, réacteurs et installations industrielles du cycle du combustible, et pourront offrir tous les services ……donc (pour ceux qui ont de la patience) un sujet à suivre !

 

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