Fin du débat public sur les déchets radioactifs
La Commission du Débat public sur la « Gestion des déchets radioactifs » avait promis son rapport pour la fin janvier. Celui-ci a été rendu public le 27 janvier 2006. Le rapport complet est disponible sur le site www.débatpublic-dechets-radioactifs.org . Le lecteur peut donc prendre connaissance de ce document in extenso, ou de son résumé disponible sur ce site, à la rubrique Documentation (PDF 340 Ko)..
Ce rapport répond bien à ce qui était attendu de la Commission. Il est clair et conforme au déroulement du débat mais l’écho qu’en a donné la presse est quelque peu confus. Cela vient du fait que la publication s’est télescopée avec la remise par l’Autorité de Sûreté au gouvernement de son avis sur le stockage des déchets et celui de l’IRSN sur le dossier que lui avait soumis l’ANDRA sur le stockage des déchets dans l’argile de la Meuse et de la Haute Marne. Donc trois communications quasi simultanées sur des sujets connexes mais néanmoins différents. Enfin, pour faciliter la tâche de la presse et la compréhension des lecteurs le mouvement ‘Sortir du Nucléaire’ qui revendique l’adhésion de 700 associations a aussi jeté son cri !
Difficile donc de ne pas se perdre un peu dans tout cela, espérons que la suite des événements sera mieux coordonnée : présentation par le gouvernement d’un projet de loi devant faire suite à celle de 1991 et vote pendant l’année 2006 de cette nouvelle loi.
On trouvera ci-après une analyse de chacune de ces communications, à l’exception, chacun pourra le comprendre, du message de ’Sortir du Nucléaire’ :
2. Position de l’autorité de sûreté
3. Avis de l’IRSN sur le dossier Argile
1. Conclusions du Débat public
Le débat public a eu lieu, il s’est bien et longuement déroulé. Les différents avis ont pu s’exprimer dans le calme malgré l’échauffement perceptible au cours des toutes premières réunions. Les sensibilités hostiles au ‘nucléaire’ ou ayant des doutes ont pu s’exprimer et débattre de façon constructive. Les organisateurs ont donc réussi leur mission mais, s’il a permis des conclusions positives, ce débat n’a bien sûr pas permis de rapprocher les points de vue sur tous les sujets même si un consensus a été réuni sur de nombreux points.
Il y a plusieurs raisons fondamentales à cette situation de fait (les parties du texte en vert sont des extraits du résumé du Compte-rendu de la Commission):
Un manque de confiance ou un doute qui se sont clairement exprimés dans le public :
« Comment voulez-vous que l’on vous croie ? », « Comment les scientifiques peuvent-ils être sûrs ? », sont les questions centrales du public.
Les gens veulent « être assurés et non pas rassurés », c’est donc de Maîtrise, et pas seulement de Gouvernance, qu’il doit être question. Cela débouche dans le débat, comme dans les pays cités, sur des propositions dans les domaines de l’organisation des acteurs et de la participation du public. (cf paragraphe 4).
Clarté de l’organisation parfois insuffisante
Plusieurs mesures ont été évoquées, de portées très différentes. Elles ont pour but de séparer les acteurs les uns des autres, et de rendre les contrôleurs indépendants. (cf paragraphe 5).
Un calendrier problématique
Il faut que la société prenne ses responsabilités sans reporter les choix difficiles à plus tard,
OR il faut du temps pour acquérir les connaissances et plus encore la conviction,
MAIS rien ne presse vraiment.
> D’autres recherches plus ambitieuses sont évoquées pour faire moins de déchets dans une éventuelle poursuite du nucléaire : recherches par exemple sur les nouveaux types de réacteurs et, encore plus ambitieux, sur une nouvelle filière à base de thorium.
> Mais également les liens entre politique énergétique et déchets doivent être pris en compte. Ces liens ont été mis en évidence par une méthode de scénarios qui avait déjà été utilisée dans le rapport Charpin-Dessus-Pellat, et que le débat a épurée et confirmée. La méthode devrait être retenue pour prendre en compte le critère déchets dans les prochains débats en politique énergétique.
> Il ressort de ces deux facteurs quelques dates clefs :
- 2020 : à la fois date de décision du renouvellement ou d’arrêt du parc nucléaire, et échéance de la phase de confirmation expérimentale des recherches de 1991.
- 2040 : date au plus près (et au plus tard ?, comme le demande à nouveau un intervenant à Lyon) de mise en œuvre de la transmutation si on l’a décidée en 2020. Egalement date d’arrêt complet des centrales en cas de décision, en 2020, de sortie du nucléaire……
(cf paragraphe 10).
Sérieux du travail fait au cours des 15 dernières années
Le sérieux du travail des organismes de recherche sur les trois axes de 1991 a été reconnu, et sa discussion conduit à des convictions. Mais des interrogations « pour être sûrs » subsistent. (cf paragraphe 8)
En effet aucun des programmes n’est abouti : rien n’est complet sur le site profond, il reste énormément à faire sur la transmutation (La transmutation reste une entreprise dont le jeu ne vaut pas nécessairement la chandelle: à l’espoir qu’elle suscite dans le public selon les études sociologiques, répond la circonspection des experts), enfin si l’entreposage semble attrayant….. il conviendrait de s’en assurer.
Ainsi la controverse s’est focalisée sur le choix entre stockage et entreposage….« La décision de construire une installation pilote d’entreposage réversible de longue durée en sub-surface s’impose… » affirment les experts discutants, « pour avoir un choix réel dans dix ou quinze ans ». Car le choix est éthique, il faut laisser le temps à la société de le mûrir. (cf paragraphe 9)
Les choix seraient mieux assurés s’ils étaient faits avec plus d’expériences accumulées, avec plus de résultats,…..une décision définitive en 2006 ne serait pas raisonnable, ….en 2020 elle serait mieux acceptée et d’autant mieux acceptée que les travaux auraient été poursuivis avec sérieux et qu’ un vrai choix entre « stockage » et « entreposage » serait possible, ….voire en 2040 si la transmutation a des chances d’aboutir, étant toutefois bien souligné qu’elle ne pourrait alors porter que sur les déchets produits après cette date.
Des considérations éthiques
Des considérations éthiques ont été longuement exprimées par le public, parfois avec confusion mais de façon tout à fait légitime :
Des considérations éthiques interviennent inéluctablement dans les décisions à très longue portée, les scientifiques comme les économistes le reconnaissent. Mais l’éthique divise plus qu’elle ne rassemble. On identifie trois positions :
> Première position : l’éthique interdit d’injurier la Terre et l’avenir, si on le faisait « la Terre se vengerait », l’ingénieur a le devoir de reconnaître ses limites : ces affirmations conduisent toutes au refus catégorique de l’enfouissement, voire du nucléaire lui-même, puisqu’on ne peut trouver de solution satisfaisante aux déchets radioactifs en dehors de solutions prométhéennes. Ces conclusions rejoignent celles de ceux qui n’ont pas voulu participer au débat, « les déchets arrêtons d’en produire et nous pourrons en parler après ».
> Deuxième position : l’éthique exige que l’on prenne ici et maintenant nos responsabilités et que l’on décide sans reporter à plus tard les choix difficiles. Responsabilité de répondre aux besoins énergétiques mondiaux qui implique que l’on maintienne le nucléaire, et responsabilité vis-à-vis des générations futures qui implique de décider rapidement d’une solution pérenne de gestion des déchets. Et ceux-là se méfient de la société, mais aussi pensent, semble-t-il, que l’entreposage pérennisé serait une non-décision. Ils sont favorables à la géologie, seule gardienne possible de déchets d’une telle durée de nocivité. Les plus sûrs d’entre eux prônent une décision en 2006, et s’opposent même parfois à la fermeture progressive sur 200 à 300 ans (la « réversibilité »).
> Troisième position : c’est à la société qu’il convient de faire confiance, et donc à l’entreposage qui oblige à, et rend possible, d’une part la surveillance grâce à la mesure de l’évolution des colis et de l’entrepôt, d’autre part la réversibilité grâce à leur reprise. Alors que le stockage géologique suppose une fermeture, ne permet aucune mesure de l’évolution des colis, rend l’oubli probable ; et que sa « réversibilité » -une gestion « comme un entreposage » pendant 300 ans- serait un palliatif coûteux, qui montre la réticence à se passer complètement de la surveillance par la société. (cf paragraphe 11).
Des considérations politiques
Où que ce soit, le stockage des déchets radioactifs ne constitue pas un projet porteur, capable en soi d’attirer seul les faveurs de la population locale, aussi si quelque chose doit être un jour réalisé à Bure ou plus généralement en Meuse ou en haute Marne, il faudra avant toute décision répondre au problème posé par l’acceptabilité au plan territorial en présentant un projet complet alliant le stockage des déchets proprement dit à un projet concret industriel concret et important permettant de maintenir une vie locale et susceptible d’assurer un essor local ou régional.
Seule la formulation d’un projet de territoire pourrait permettre de dépasser cet attachement à l’identité territoriale en cas de création d’un équipement de gestion de déchets à vie longue : projet de développement en Meuse Haute-Marne, d’aménagement ailleurs si un site d’entreposage était choisi dans une zone déjà développée (le cas de Marcoule a été cité à Marseille), représentation crédible d’une nouvelle identité. Pourtant, « la condition est nécessaire, elle n’est peut-être pas suffisante ». D’ailleurs, elle subit un handicap : celui du scepticisme à l’égard des promesses de l’Etat suite à la question du deuxième laboratoire. La seule manière de le surmonter est de faire de l’élaboration d’un tel projet un processus largement ouvert à toutes les forces vives, comme les experts l’ont fortement recommandé à Joinville et à Nancy. En outre, un tel projet en développant « de la vie autour » et une stabilisation démographique, permettrait une meilleure pérennité du gardiennage, en faisant jouer un rôle à la société territoriale dans cette fonction, proposition reprise à Lyon.
Un tel niveau d’ambition paraît possible en Meuse Haute-Marne, les potentialités en ont été présentées, et la légitimité reconnue solennellement par les industriels à Lyon, comme expression « de solidarités croisées » entre le secteur nucléaire et ces territoires. Basé sur le développement de la biomasse, ce projet illustrerait l’efficacité des dispositions de la loi de 2004 sur la politique énergétique qui imposent des diversifications tant au CEA qu’à EDF. Mais tout dépend, aux yeux des habitants, de la manière dont est assurée l’indispensable volonté politique nationale et sa pérennité. (cf paragraphe 13).
En conclusion du débat public et à supposer que les gens qui se sont exprimés constituent un échantillon représentatif, il est permis de penser qu’une loi qui proposerait :
1- de traiter du cas de tous les déchets radioactifs et non pas, comme la Loi de 1991, des seuls déchets de haute activité et à vie longue (càd issus du retraitement et par extension les combustibles usés), même si ceux-là doivent rester le cœur du sujet ;
2- de décider de la poursuite des recherches selon les trois axes ;
3- du lancement d’un projet (‘laboratoire’) d’entreposage ;
4- des mesures d’accompagnement de la réalisation de l’installation définitive, à savoir
a. information du public et participation de celui-ci aux décisions,
b. développement économique des territoires concernés en accompagnement du projet ‘déchets’ proprement dit
pourrait être bien acceptée et comprise, …encore faut-il trancher entre 2006 …et…2020.
2. Position de l’autorité de Sûreté sur les recherches menées (Loi de 1991)
La DGSNR, c'est-à-dire l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a livré le 1er février au gouvernement son avis sur les recherches relatives à la gestion des déchets de haute activité et à vie longue (HAVL) menées dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991.
Se fondant sur des expertises techniques et scientifiques complètes sans chercher à composer avec des opinions politiques voire philosophiques exprimées par ailleurs (débat public), l’ASN affirme haut et fort des positions certes connues mais solidement argumentées; Les citations figurent en couleur bleue.
La séparation et la transmutation (Axe n° 1)
L’ASN considère que la faisabilité technologique de la séparation et de la transmutation n’est pas acquise à ce jour. Même en cas de mise en œuvre d’une telle solution, l’élimination des déchets radioactifs de haute activité à vie longue ne sera pas totale. Une autre solution de référence est nécessaire.
L’ASN partage donc l’opinion exprimée par de nombreuses parties au débat et l’argumente de façon extrêmement concrète:
1- l’application industrielle des recherches ne pourrait pas intervenir avant l’horizon 2040;
2- les procédés ne sauraient s’appliquer à tous les déchets HAVL;
3- la séparation/transmutation génèrerait ses proches déchets résiduels;
4- la reprise des déchets déjà produits n’étant pas souhaitable pour des raisons de sûreté et de radioprotection, ceux-là devront faire l’objet d’une solution définitive.
Le conditionnement et l’entreposage de longue durée (Axe n° 3)
L’ASN considère que l’entreposage de longue durée ne peut pas constituer une solution définitive pour la gestion des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue.
L’entreposage est certes une étape nécessaire et préalable avant le stockage en formation géologique profonde mais il ne serait pas raisonnable de retenir comme solution de référence la solution consistant à renouveler plusieurs fois un entreposage de longue durée, car elle suppose le maintien d’un contrôle de la part de la société et la reprise des déchets par les générations futures, ce qui semble difficile à garantir sur des périodes de plusieurs centaines d’années.
Le stockage en formation géologique profonde (Axe n°2)
L’ASN considère que le stockage en formation géologique profonde est une solution de gestion définitive qui apparaît incontournable.
Comme beaucoup de ses homologues à l’étranger l’ASN privilégie le stockage en formation géologique profonde. Il note en outre que les résultats obtenus par l’ANDRA dans le laboratoire de Bure sur la couche du Callovo-Oxfordien et son environnement géologique permettent d’ores et déjà d’envisager une installation de stockage sûre dans la zone de transposition. Cette « zone de transposition » d’une surface de 200 km² au nord et à l’ouest du laboratoire de Bure présenterait des propriétés similaires à celles observées à l’échelle du laboratoire souterrain.
S’agissant du calendrier l’ASN précise ce qui suit:
Période 2006-2011: L’ANDRA poursuivra les expérimentations dans le laboratoire souterrain de Bure et recherchera l’emplacement favorable à l’implantation d’une éventuelle installation de stockage dans la zone de transposition.
Période 2011-2016: Cette période serait consacrée à la préparation et au dépôt par l’ANDRA d’une demande d’autorisation de création de l’installation de stockage, puis à l’examen par l’ASN de cette demande.
Période 2016-2023: Après avoir obtenu l’autorisation de création de l’installation de stockage, l’ANDRA pourrait procéder à sa construction.
Période 2023 et au delà: L’installation de stockage pourrait être mise en exploitation.
S’agissant de la réversibilité, l’ASN estime qu’il est souhaitable de retenir une gestion du stockage par étapes allant de la mise en exploitation de l’installation de stockage jusqu’à sa fermeture. La décision de fermer l’installation de stockage, et donc de mettre fin à la réversibilité, devrait revenir au Parlement.
L’ASN considère, sur le plan des principes, que la réversibilité ne peut avoir qu’une durée limitée. En effet, l’accessibilité aisée aux colis de déchets doit être limitée dans le temps car une fermeture du stockage trop longtemps différée pourrait remettre en cause la notion et, peut être même à long terme, la sûreté du stockage qui est basée sur la capacité de la couche d’argile à confiner la radioactivité contenue dans les déchets sur de longues périodes de temps.
De plus, il paraît a priori difficile de garantir la pérennité des dispositions permettant la réversibilité sur une période supérieure à 300 ans. En effet, la réversibilité impose le maintien d’une gestion active de l’installation de stockage pendant toute la phase de réversibilité pour en assurer au minimum la surveillance et la maintenance, assortie d’un contrôle institutionnel afin d’éviter l’abandon de l’installation de stockage avant sa fermeture.
La mise en place d’un Plan national de gestion des déchets radioactifs et des matières valorisables
Pour les catégories de déchets autres que HAVL, càd n’entrant pas dans le cadre de la loi de 1991, l’ASN a souligné que les orientations du Projet de Plan national de gestion des déchets et des matières valorisables, pour lequel le gouvernement l’a sollicité par ailleurs, doivent être approuvées dans le cadre de la loi de 2006 sur les déchets radioactifs.
L’ASN est sur ce dernier point en phase avec les opinions exprimées au cours du débat public, pour les autres (Axes 1,2 et 3) il y a en revanche un décalage marqué, mais tout à fait prévisible, avec les opinions exprimées par une partie importante du public, celle n’étant pas au fait des dossiers et réagissant comme le ferait un honnête homme.
3. Avis de l’IRSN sur le ‘Dossier Argile 2005’ de l’Andra (janvier 2006)
L’IRSN a évalué le dossier 2005 Argile visant à démontrer la faisabilité d’un éventuel stockage de déchets HAVL dans la formation argileuse du laboratoire de Bure, examiné les points critiques pour la sûreté d’un éventuel stockage dans cette couche et identifié les incertitudes sur les données et phénomènes importants au regard des propriétés de confinement.
Cet examen a porté sur
1- les données nécessaires à la définition d’un concept de stockage ;
2- les principales perturbations d’origine interne (thermiques, hydriques, mécaniques, chimiques et liées au gaz) et d’origine externe (changements climatiques, érosion séismes) ;
3- la sûreté d’exploitation (prise en compte des risques liés au transfert des colis, à l’incendie, à la criticité et à l’occurrence d’un séisme) ;
4- l’évaluation de la sûreté en phase de post-fermeture du stockage (performance des différentes barrières, prise en compte de l’évolution des composants ouvragés).
Extrait du résumé du rapport :
L’IRSN estime qu’un stockage de déchets dans la couche argileuse étudiée au moyen du laboratoire souterrain de Bure apparaît « faisable », dans la mesure où il n’a pas été identifié, à ce stade, d’élément rédhibitoire à l’établissement dans le futur de la « démonstration de sûreté » d’une telle installation. Si une décision de principe sur le stockage géologique devait être prise par le Parlement en 2006, l’IRSN considère qu’il n’existe pas d’obstacle à la recherche d’un site de stockage dans la zone de transposition définie par L’ANDRA.