LU POUR VOUS

Les faibles doses sont-elles dangereuses ?

 

(Traduit de l'anglais. Article du Professeur Klaus BECKER, Expert Allemand.Paru dans la revue . Nuclear Europe Worldscan. Mars-Avril 1998)

 

 

Il y a presque 5 siècles, le grand physicien européen PARACELSE établit le premier que, en médecine, " c'est la dose qui fait l'effet ".

Evidemment nous savons maintenant qu'il n'y a presque aucun agent environnemental qui ne soit pas dangereux à très haute dose, même si il est avantageux, voire indispensable, pour la santé, à faible dose.

Il devient de plus en plus évident que l'agent " radiation ionisante ", qui produit de l'oxygène actif indistinguable de l'oxygène normal par le métabolisme, n'est pas, contrairement à la doctrine officielle dominante sur les risques dus aux radiations à faible dose, une exception à cette règle.

Dangers

Bien sûr, il n'y a aucun doute sur les risques dus à des doses de rayonnement de plusieurs Gray, notamment pour les expositions de tout le corps à haute dose. A côté de telles surexpositions pour les mineurs et les radiologistes d'autrefois, il y a eu une augmentation d'environ 5 % des cancers chez les survivants japonais aux explosions atomiques, et environ 30 personnes sont mortes du syndrome d'irradiation aiguë et de cancers de la thyroïde dus à l'irradiation dans les 12 années qui ont suivi l'accident de Tchernobyl.

Toutefois, il faudrait démontrer clairement qu'il n'y a aucune évidence d'un

quelconque accroissement de défauts génétiques chez les humains, y compris

chez les survivants des explosions de bombes A.

Incidemment : le rôle dominant de l'étude des survivants japonais pour établir des limites de faibles doses est sujet à caution, parce que la situation était celle d'une haute dose en un temps court (avec de grandes incertitudes en dosimétrie) compliquée par des blessures par brûlures et par compression, par stress émotionnel, une insuffisance grave des services sociaux et médicaux, etc.... Cette situation est, comme c'est le cas dans les mines, difficilement comparable à la vie quotidienne dans les lieux de travail ou chez soi.

De plus, aucune augmentation d'anomalies génétiques ou somatiques (à l'exception de cas presque toujours curables, de cancers de la thyroïde causés par l'exposition à l'iode 131, isotope à vie courte) n'a été observée après Tchernobyl. Et, après des décennies de recherche soigneuse, aucune anomalie telle que des taux accrus de cancer, de défauts à la naissance ou de diminutions d'espérance de vie n'ont été détectées dans des régions de Chine, Brésil, Inde, Iran, etc..., où de grandes populations ont vécu pendant de nombreuses générations à des niveaux d'irradiation naturelle dépassant la moyenne (environ 2 mSv) d'un facteur de 10 et plus. Au contraire, les publications scientifiques sont remplies d'exposés décrivant une réelle décroissance de cancers avec des augmentations modérées du niveau naturel d'exposition. .

Parmi les études bien connues on trouve cel1e de B. COHEN qui ont testé l'hypothèse officielle " linéaire-sans seuil " (LSS) sur la base d'exposition au radon dans les habitations dans 1601 comtés* des Etats-Unis, représentant environ 90 % de la population, et qui a trouvé une diminution significative des cancers du poumon pour des niveaux croissants de radon, contrairement à l'accroissement prévu.

Des résultats dans d'autres parties du monde confirment ces études, par exemple parmi les femmes non-fumeuses dans les régions de mines d'uranium de l'ex-RDA, an a trouvé non pas plus mais seulement moitié moins de cancers du poumon par comparaison avec les zones à faible émission de radon.

De récentes études, par d'éminents radio-biologistes américains, sur l'effet des irradiations externes en rayons X et Y sur le cancer du poumon (Fig. 1) confirment que (" à l'évidence, il n'y a pas de risque (voire un effet contraire) de cancer du poumon aux faibles doses à caractère linéaire ".

En fait, le radon dans les habitations pourrait devenir un test décisif pour LSS.

Comme dans la situation d'Hiroshima/Nagasaki (où aussi, incidemment, une tendance initialement négative pour l'induction de la leucémie, avec un seuil de 0,2 gray, a été trouvée), la confusion des facteurs dans les données sur les mineurs, telles que l'inhalation de poussières minérales toxiques, les oxydes d'azote provenant des explosifs, les fumées d'échappement des moteurs diesel, le tabagisme intense, etc. .. a rendu impossible d'utiliser de telles données pour le radon dans les habitations.

Néanmoins, cela a été tenté, par exemple par les réglementations de EPA** (Environmental protection administration) aux Etats-Unis, avec des limites aussi basses que 10 Bq par litre d'eau, ou des niveaux de radon dans les habitations dans le domaine 100-250 Bqlm3 dans différents pays.

La réponse d'adaptation, bien étudiée (sensibilité réduite à l'irradiation des organismes après une exposition préalable), à laquelle le rapport UNSCEAR 1994 consacre un chapitre comportant 400 références, explique déjà certains de ces effets, tandis que d'autres restent à étudier.

Complexité

Nous commençons à comprendre maintenant les processus biochimiques et biophysiques complexes à l'échelle cellulaire et moléculaire qui expliquent les effets primitivement biopositifs (et plus tard principalement bionégatifs) liés aux doses d'irradiation croissantes.

Apparemment, les mécanismes de réparation et de défense sont stimulés à des niveaux d'irradiation modérément accrus.

Linéarité

Bien qu'aucun effet nuisible à la santé de l'irradiation n'ait été prouvé dans un large domaine d'exposition naturelle, ou légèrement au-dessus, les groupes d'experts indépendants tels que l'ICRP (International Commission for radio protection), par exemple dans son rapport n° 60 paru en 1990, suivis plus tard par des recommandations gouvernementales plus contraignantes, comme la directive de l'Union européenne qui doit devenir légalement impérative bientôt en Europe, se sont déterminés en faveur d'une approche extrêmement prudente de LSS et du concept étroitement associé de Dose Collective.

Ce concept, imaginé à l'origine pour simplifier "un électron peut vous tuer " pour des législateurs exagérément précautionneux.

Pourtant, essentiellement en multipliant zéro par l'infini (Ndt : ce qui, mathématiquement, ne peut donner aucun résultat déterminé) des milliers ou dizaines de milliers de " cancers supplémentaires dus à Tchernobyl " ont été

officiellement calculés pour l'hémisphère Nord, et plus de 1000 000 ECU ont été dépensés en Allemagne pour éviter une dose collective de un " homme-sievert ", avec un niveau individuel de coupure de 10 µ Sv (soit environ 0,5 % de l'irradiation naturelle), par exemple pour éviter le radon " dangereux " dans la réhabilitation des sites miniers ou le démantèlement des installations nucléaires.

Voici ci-après deux autres exemples d'un coût exorbitant de l'application courante de la " faible dose " en Allemagne .

1) après l' accident de Tchernobyl, le coût direct de la destruction totalementinutile de produits légèrement contaminés, lait, etc..(dans le land de Hesse, jusqu'à un niveau 20% de la radioactivité naturelle du lait) s'est élevé à 200 millions d'ECU (1,3 milliards de francs !) et le coût indirect dû à l'annulation de projets nucléaires, à des pertes d'exportations, etc... à près de 10 milliards d'ECU (65 milliards de francs !!! ), sans compter le coût social et émotionnel (certains estiment à environ 40 000 les avortements supplémentaires parmi les femmes " choquées " dans les mois qui ont suivi Tchernobyl, en Europe occidentale).

2) Le coût de démantèlement de l'unité pilote de retraitement à Karlsruhe est estimé être environ 30 fois celui de sa construction (y compris une unité de vitrification de plus de 200 000 000 ECU (1,3 Md de F) pour moins de 100 tonnes de déchets liquides bien qu'une unité allemande en fonctionnement existe à moins de 300 km de là).

Evidemment, de tels exemples de gâchis de fonds publics ont conduit à des objections de scientifiques éminents, d'organismes scientifiques et d'hommes politiques responsables. La place limitée ici ne permet de citer que deux exemples.

1) Dans son rapport n° 35 d'octobre 1995, l'Académie (Française) des Sciences a conseillé au Gouvernement français de ne pas approuver la nouvelle directiveeuropéenne fondée sur l'ICRP 60

2) La plus ancienne, et plus importante au monde, société des spécialistes de protection contre les radiations, " the Health Physics Society " a recommandé en 1996 l'abandon du concept de dose collective inférieure à environ 100 m Sv pour la population (vie entière) et 50 m Sv annuels pour les travailleursexposés aux rayonnements.

Sensibilité

Le Dr Angela Merkel, ministre allemand pour l'environnement et la sécurité nucléaire, présidant en 1996 à Vienne la conférence de synthèse sur Tchernobyl, fit remarquer sagement que " la sensibilité aux radiations des sociétés dépasse largement celle des individus ". .

Le 31 octobre 1997, dans une allocution d'ouverture par le centre Belfer pour la Science et les Affaires Internationales, le Sénateur américain influent Pete Domenici fut plus précis .

" Nous réglementons l'exposition à de bas niveaux de rayonnement en utilisant le soi-disant modèle linéaire sans seuil (LSS), dont le fondement est qu'il n'y a pas de niveau " sans risque " d'exposition. Notre modèle nous oblige à imposer un niveau de rayonnement de moins de 1 % de l'exposition naturelle bien que celle-ci puisse varier de 50 % à l'intérieur des Etats-Unis.

D'autre part, beaucoup de scientifiques pensent que les cellules vivantes, après des millions d'années d'exposition aux rayonnements naturels, se sont adaptéesde telle façon que les bas niveaux de rayonnement leur causent peu ou pas de dégâts.

En fait, il y a des études qui montrent que le contraire est exactement vrai, à savoir que de faibles doses de rayonnement peuvent même améliorer la santé. La vérité est importante.

Nous dépensons plus de 5 Md de dollars (30 Md de francs) chaque année, pour nettoyer les sites DOE *** contaminés à des niveaux plus bas que 5 % du niveau naturel. Pour la première fois, nous établirons des valeurs standards de rayonnement qui seront fondés sur un risque réel. "

Obstacles

Malheureusement, les changements doux et rapides rencontrent de sérieux obstacles, tels que :

- une partie importante de l'industrie nucléaire est hésitante à soutenir les efforts contre le concept " LSS " parce qu'ils pensent que ce soutien serait considéré comme une attitude de groupe de pression pour ses propres intérêts.

- une autre très grande partie de l'industrie nucléaire est commercialement concernée par le démantèlement, la réhabilitation de sites, les appareils de mesure de rayonnement et les services correspondants, la gestion des déchets et autres activités connexes, etc... a par suite intérêt à " maintenir vivants " les risques dus aux rayonnements .

- beaucoup des scientifiques, qui seraient qualifiés pour exprimer des opinions non conventionnelles, préfèrent ne le faire qu'en privé, parce qu'ils craignent des difficultés personnelles ou professionnelles, s'ils ne naviguent pas " dans le sens du courant " , d'autres manquent de soutien officiel pour des mesures efficaces ,

- même s'il y avait accord sur les changements nécessaires, ce serait un processus lent et incommode pour appliquer les procédures réglementaires, en particulier quand une harmonisation internationale (européenne par exemple)est concernée.

Bien sûr, il serait très déplacé de blâmer les savants distingués dans les différents organismes de conseil, nationaux et internationaux, pour la protection contre les rayonnements ; pas plus que leurs recommandations très appréciées, mais excessivement prudentes (avec quelques pressions extérieures " politiquement correctes ") pendant leur long parcours dans les réglementations nationales et leurs applications pratiques.

Malheureusement, le plus important mot dans le concept ALARA (as low as reasonably achievable, soit, en français, " aussi bas que raisonnablement réalisable ", selon tous les facteurs économiques et sociaux) de l'ICRP est le plus souvent ignoré et ALARA devient, en fait, " aussi bas que possible, à n'importe quel coût ".

Par suite, ce qui est nécessaire d'urgence pour les contribuables aussi bien que pour tous les usages spécifiques des rayonnements, semble être une nouvelle estimation coût/avantage (comparable à qualité/prix)comparant les risques potentiels des petites doses de rayonnement aux autres risques réels, naturels ou dus à l'homme.

Les crédits pour la surprotection antiproductive pourraient être mieux utilisés à s'attaquer aux vrais problèmes de santé dans les pays développés et (peut-être même de façon plus urgente) dans les pays en voie de développement.

Ethique

Par suite, la controverse sur LSS est aussi une question d'éthique. Quelle part de ses ressources limitées en crédits et en hommes une société devrait-elle consacrer à la réduction accrue d'un risque qui, si même il existe, est si petit qu'on ne pourrait pas le prouver pendant des décennies de recherches dans le monde ? Et quel dommage est fait en favorisant la " radiophobie " (peur irraisonnée des rayonnements) depuis le refus de l'usage des rayonnements en médecine et pour l'irradiation des aliments (en vue de leur conservation) jusqu'aux questions de climat mondial.

Résumé

L'hypothèse courante d'extrapolation linéaire des fortes aux faibles doses de rayonnement, sans aucun seuil, est de plus en plus remise en question pour des raisons radiobiologiques et épidémiologiques, aussi bien que socio-économiques et éthiques.

Une analyse scientifique coût/avantage, fondée sur les risques réels, comparés à d'autres risques naturels ou de civilisation, est indispensable. Cela conduirait sans doute à un accroissement sensible du niveau tolérable des doses de rayonnements artificiels, à d'importantes réductions de dépenses et à une meilleure acceptation par la population des usages pacifiques des rayonnements, y compris la production d'énergie d'origine nucléaire. .

 

 


* District administratif à l'intérieur d'un état des Etats-Unis

** Sorte de Ministère de l'Environnement

*** Department of Energy . Administration américaine, chargée notamment de l'énergie nucléaire.

 

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