Index
1. Charbon
2. Pétrole
3. Gaz
4. Uranium
5. Logistique et transports
On a vu, dans le texte plus général, que les ressources énergétiques de la planète étaient en quantités limitées, mais aussi qu’elles étaient très inégalement réparties à travers le monde ; c’est cette question, aux conséquences extrêmement importantes, que nous allons examiner ici. Rappelons en préalable quelques chiffres :
Le monde consomme aujourd’hui 10 Milliards de Tep/an. (Tep : tonne d’équivalent pétrole).
Les réserves généralement admises, exprimées en années de consommation actuelles sont de :
- charbon 250 ans, sans doute 500 ans et peut-être encore plus ;
- pétrole 50 à 70 ans ;
- gaz de l’ordre d’une centaine d’années ;
- uranium 100 ans avec les réacteurs actuels et les ressources connues ou raisonnablement assurées à moins de 40 $/kg d’uranium, mais de l’ordre de 10 000 ans avec des réacteurs à neutrons rapides (et peut-être plus en prenant en compte des ressources supplémentaires estimées).
Le graphe ci-après établi par l’Observatoire de l’Energie sur la base des données issues de BP pourrait donner l’impression que les ressources en gaz, pétrole et charbon sont très idéalement réparties sur le globe entre l’Europe, l’Asie, l’Afrique, l’Asie ou l’Océanie.
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Cette impression est malheureusement trompeuse : le Japon est dépourvu de tout, l’Australie est très riche en charbon, le Moyen Orient est extrêmement riche en hydrocarbures (pétrole et gaz), la Chine est très dotée en charbon, l’Europe et l’Afrique ont des ressources de charbon mais moins que l’Amérique du Nord, peu dotée en hydrocarbures, et la Russie qui a des ressources importantes en charbon comme en gaz. Ainsi, grâce à deux ou trois observations simplement factuelles, on sent déjà non seulement des motifs de concurrence ou de rapprochements entre pays, mais surtout des sources possibles de conflits et la trame des grandes tendances géopolitiques et stratégiques du monde d’aujourd’hui.
Nous commençons par le charbon; c’est bien normal car après le bois, le charbon a prévalu jusqu’au milieu du 20ème siècle, date à laquelle le pétrole l’a détrôné mais, un siècle plus tard, il est très probable que le charbon supplante à son tour le pétrole. C’est normal aussi, et on ne le sait guère, au moins en France, parce que le charbon représente encore 24 % de la consommation d’énergie mondiale et se trouve être dominant en matière de production d’électricité.
La carte ci-dessous indique la répartition dans le monde des réserves de charbon. On y voit que les pays les mieux dotés sont les Etats-Unis, la Chine et la Russie qui sont aussi les trois plus gros consommateurs. Les autres gros producteurs sont l’Australie, l’Inde, l’Afrique du Sud et, en Europe, l’Allemagne et la Pologne. Les réserves de charbon, qui dépassent 1000 milliards de tonnes, sont donc assez bien réparties au plan géographique.
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On connaît les émissions de gaz à effets de serre que la combustion du charbon entraîne, son caractère polluant, sauf recours à des techniques sophistiquées et coûteuses pour sa mise en œuvre, dont aujourd’hui aucune n’est encore au point et dont les coûts sont encore très mal évalués, c'est-à-dire probablement très sous évalués. On connaît moins les sévères contraintes auxquelles son emploi conduit: énormes problèmes de transport terrestre; ainsi le réseau ferré chinois entre l’intérieur du pays et les métropoles côtières est engorgé par les trains de charbon toujours prioritaires. Le stockage du charbon en grandes quantités n’est pas non plus sans poser de sérieux problèmes de sûreté.
Le pétrole, dont le début de l’utilisation est déjà ancien, n’a pris son véritable essor qu’au milieu du 20ème siècle. La faveur dont il bénéficie est essentiellement due à sa grande facilité d’utilisation, de transport ou de stockage, de sorte qu’il est aujourd’hui dominant en matière de transport routier, aérien ou maritime ; et pourtant le pétrole n’est pas sans présenter de graves inconvénients : contribution majeure aux rejets polluants et à l’émission de gaz à effets de serre et instabilité des prix due à l’excessive dépendance des modes de vie actuels à son égard et à la mauvaise répartition des ressources dans le monde.
La carte ci-après illustre tout à fait cette inégale répartition : 70 % des réserves sont situées au Proche Orient (Arabie Saoudite, Irak, Iran, Koweït et Emirats), 15 % dans les Amériques, nord et sud, 7 % en Russie, 3 % en Océanie/Asie, 3 % en Afrique et presque rien en Europe. Au total les réserves s’élèvent à 150 milliards de tonnes et sans doute beaucoup plus.
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Cette répartition géographique est quelque peu trompeuse et pour le moins curieuse quand on sait que tous les pays proches du Golfe Persique, présentés sous la forme d’une seule entité (Moyen-Orient), sont loin d’être unifiés et agissent le plus souvent de façon rivale et dispersée.
L’examen des cartes est extrêmement instructif, encore faut-il qu’elles soient bien faites. La précédente pêche sur deux points : on voit peu le poids de l’Afrique (Nigeria, Libye et autres moindres producteurs) et on ne voit pas l’importance des pays entourant la mer Caspienne.
Les cartes sont des relevés à un instant donné et, même bien faites, elles sont incapables de mettre en évidence l’évolution des grandes lignes de force. En 1970, les Etats-Unis étaient de loin le premier producteur de pétrole, et ils couvraient ainsi plus des ¾ de leur consommation, le reste étant fourni par le Venezuela et surtout l’Arabie Saoudite. Le charbon était dominant aussi bien en Angleterre qu’en Allemagne et l’OPEP ne jouait qu’un rôle discret. Aujourd’hui, les Etats-Unis importent 2/3 de leur pétrole, essentiellement du Moyen Orient et le charbon n’a plus qu’un rôle mineur. L’OPEP après avoir occupé des années les feux de la rampe est pour l’instant retournée à un rôle réduit, n’étant plus ni crainte, ni écoutée. Enfin de négligeable en 1970, le nucléaire n’a cessé de s’affirmer d’abord aux Etats-Unis, puis en Europe et enfin en Extrême-Orient.
Pour ce qui est du pétrole, le poids de la demande asiatique (Japon, Corée, Taiwan, etc.), déjà important depuis plus de vingt ans, devient aujourd’hui prépondérant en raison du développement extrêmement rapide des besoins chinois et indiens. Alors que les besoins américains ne faiblissent pas, bien au contraire, on peut donc penser que les années futures risquent d’être turbulentes. Le pétrole restera l’élément majeur des relations internationales qu’il est depuis déjà 50 ans.
Il n’est pas facile de prévoir l’avenir, mais il est aisé de planter le décor :
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la plupart des pays producteurs sont peu démocratiques, peu industrialisés et le pétrole est pour eux une source extraordinaire de revenus qui peut constituer une menace pour le reste du monde, certains d’entre eux considérant que le pétrole n’est pas qu’une arme économique ;
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différents conflits majeurs sont nés dans les régions pétrolières (Koweït, Tchétchénie, Irak, Iran) ;
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le conflit israélo-palestinien, la situation libano-syrienne, la situation irakienne contrarient l’écoulement du pétrole vers la Méditerranée qui est pourtant la route la plus normale vers l’Europe;
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les conflits existants autour de l’Asie Centrale, la mer Caspienne et le Caucase ne sont pas étrangers aux luttes autour des voies d’évacuation du pétrole et du gaz d’Eurasie et aux ambitions hégémoniques de la Russie ; ils comportent aussi une dimension religieuse ;
-
l’évolution des populations (avec leurs disparités) et de leurs niveaux de vie sont également des paramètres qu’il faudra maîtriser;
et cette liste n’est pas exhaustive.
Les choix politiques et géopolitiques, c’est clair, sont très dépendants des questions pétrolières et plus généralement énergétiques.
Les Etats-Unis, qui ne peuvent compter ni sur leur réserves nationales de pétrole ni plus généralement sur celles de l’ensemble du continent américain, ont à arbitrer entre différentes solutions : le charbon national, le nucléaire, le pétrole du Moyen-Orient, le recours aux énergies renouvelables et les économies d’énergie. L’Administration Bush s’est employée pendant 8 ans à assurer simultanément les trois premières voies, ayant par ailleurs refusé de s’engager dans un processus contraignant visant à limiter l’émission des gaz à effets de serre, car un tel processus pourrait conduire à une remise en cause fondamentale du mode de vie américain et imposerait probablement des coûts exorbitants. La nouvelle Administration Obama prend le contre-pied complet en favorisant les énergies renouvelables et dans une certaine mesure les économies d’énergies ; il est vrai que le pays dispose dans ces deux domaines de gisements formidables. Mais les Etats-Unis n’écartent pour autant ni le charbon ni le nucléaire et semblent désireux de lancer de grands programmes de recherche.
Le Japon, la Corée et autres grands consommateurs asiatiques semblent déterminés à ne pas accroître leur dépendance vis-à-vis du pétrole et du Moyen-Orient et veulent protéger l’environnement.
La Chine semble vouloir suivre un chemin original : charbon majoritaire, développement du nucléaire et recours limité -si possible ?- au pétrole.
En Europe, les choses sont plus disparate,s sinon mêmes incohérentes, notamment en ce qui concerne le nucléaire: au total chacun feint de croire que,’ avec les accords sur la protection du climat, des économies d’énergies et le recours aux énergies renouvelables, les problèmes énergétiques seront réglés.
En fait, alors que personne n’ignore que les transports constituent la plus grosse source de consommation de pétrole, et au surplus une source en croissance soutenue, aucun pays dans le monde ne prépare encore, avec sérieux et détermination, les décisions courageuses, mais peu populaires, que requièrent la maîtrise puis la réduction drastique du recours au pétrole dans les transports, seule à même de réduire une dépendance avant que cela ne soit imposé par les prix.
Pendant longtemps, le gaz naturel n’a été considéré que comme une ressource dérivée de la recherche et de l’exploitation pétrolière, les gisements étant souvent communs ou proches les uns des autres. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, le gaz est considéré comme une ressource en elle-même pas nécessairement liée au pétrole et, de fait, la Russie et ses ex-satellites ont beaucoup plus de gaz qu’ils n’ont de pétrole ; et si le Moyen-Orient est riche en pétrole, c’est surtout en Iran qu’on trouve du gaz.
La carte ci-après indique les grandes zones de gisement : le Moyen-Orient, principalement l’Iran, avec 35 % environ des réserves mondiales, la Russie et l’Eurasie sans doute autant, l’Europe (Norvège et Pays-Bas), l’Amérique Latine (Mexique) et l’Amérique du Nord avec chacun 4 à 5 %, l’Afrique et la zone Asie/Pacifique avec chacun 7 à 8 % des réserves. Au total, relativement moins mal réparties que les réserves de charbon ou pétrole, les réserves de gaz s’élèvent à 140 GTep et sans doute beaucoup plus, (probablement le double ou le triple, si les espoirs sont confirmés, ce qui n’est pas utopique compte tenu du fait que les programmes de recherche sont encore assez récents).
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Le gaz bénéficie aujourd’hui d’une faveur et même d’un engouement que ses qualités intrinsèques ne justifient pas pleinement. Il est certes très souple et facile d’emploi et de stockage et son rendement d’utilisation est exceptionnellement élevé.
Les investissements (hors ceux liés à son transport et à sa distribution) sont peu élevés, une centrale à gaz est plus vite construite et moins chère que tout autre type de centrale, ce qui est un avantage pour la production de l’électricité de pointe mais est extrêmement contestable pour la production de base eu égard au prix du combustible et à son instabilité (quasi indexation sur celui du pétrole).
Le gaz entraîne une moindre pollution que le charbon et le pétrole, émet en brûlant moins de gaz à effets de serre, mais cela ne signifie pas qu’il soit propre, comme tendent à le faire croire ses promoteurs et, si les adversaires du nucléaire prônent le gaz, c’est simplement parce qu’ils savent bien que les économies d’énergie et le recours aux énergies renouvelables ne peuvent pas satisfaire la demande à laquelle répond le nucléaire. Ce que bien peu avouent c’est que l’économie de CO2 par rapport au pétrole (20 %) n’est réelle que pour autant qu’il n’y ait pas de fuites de méthane (beaucoup plus pénalisant que le CO2) tout au long de la chaîne, de l’extraction au consommateur final, et pas de pollutions (NOx et nitrates) dans les zones d’utilisation.
Le gaz présente enfin des problèmes sérieux dus à son inflammabilité et aux risques d’explosion; en conséquence il exige :
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le recours à de hautes technologies aux points de rupture de charge et pendant les transports où de très grandes quantités sont mises en œuvre (station de compression et de détente, navires méthaniers),
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et des précautions toutes particulières aux points d’utilisation (réglage des appareils, maintenance, …) qui ne sont pas toujours prises notamment dans les usages domestiques.
L’uranium renferme un pouvoir énergétique extrêmement concentré puisque, sur la base d’une comparaison très sommaire entre un réacteur PWR comme ceux d’EDF et une centrale au fuel moderne sans production de chaleur associée, on peut dire qu’une tonne d’uranium est sensiblement équivalente à 10 à 12 000 tonnes (on peut retenir que 100 g d’uranium naturel, soit en gros 1 g d’U235, équivalent à 1 voire 2 t de pétrole) de fuel, et beaucoup plus, jusqu’à 500000 tonnes dans les réacteurs de l’avenir dits de génération IV sur lesquels les travaux ont commencé.
Comme signalé plus haut, il ne faut pas s’émouvoir si, s’agissant d’uranium, les quantités s’expriment en millions de tonnes et non en milliards ou centaines de milliards de tonnes comme pour le charbon ou le pétrole: la consommation actuelle est de l’ordre de 65000 tonnes d’uranium par an dans le monde, à comparer aux 10 milliards de tonnes d’équivalent pétrole. On sent là un avantage du nucléaire sur les autres filières: le volume extraordinairement faible des transports et le peu de risques ainsi induits, sans commune mesure avec le vacarme médiatique fait autour de quelques transports nucléaires défrayant la chronique de temps en temps.
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L’usage en matière d’uranium est de chiffrer les réserves par rapport au coût d’approvisionnement; le chiffre de 15 $ la livre d’U3O8 a été longtemps pris comme référence compte tenu que le cours moyen pendant la période 1989-2002 n’était que la moitié de cette valeur. Aujourd’hui il est d’usage d’évaluer les ressources sur la base d’un prix compris entre 40 et 80 $ la livre. Sur cette base, et compte tenu des seules ressources connues bien identifiées, la carte ci-dessus indique la répartition des réserves, réserves qui sont assez concentrées dans quelques pays mais somme toute assez diversifiées pour ne pas inquiéter les acheteurs: Australie (27 %), Kazakhstan (15 %), Canada (13 %), Afrique (20 %) et un petit 25 % pour le reste du monde.
Les ressources sont en fait le plus souvent «estimées» comme comprises entre 4,6 et 16,2 millions de tonnes accessibles. Cette large fourchette est justifiée de plusieurs façons: les prospections n’ont pas été systématiques jusqu’à maintenant alors que, par ailleurs, le coût de l’uranium (5 % du coût complet du kWh électrique) a une très faible incidence sur les coûts d’électricité produite, tant est grande la part des frais fixes. Cela confère au nucléaire une importante stabilité des coûts de l’électricité générée, ce qui n’est le cas ni du pétrole, ni du gaz.
D’ores et déjà, ce sont quelque 250 années de fonctionnement pour des réacteurs des types actuels qui sont assurées mais, avec les réacteurs de l’avenir, dont les réacteurs à neutrons rapides, ce sont plus de 10 000 années d’électricité qui sont assurées pour la planète sans qu’il soit nécessaire de prendre en compte des ressources non classiques plus «spéculatives» comme les phosphates, le thorium, voire l’eau de mer (4 000 millions de tonnes).
Sans qu’il soit nécessaire d’aller jusque là, il faut admettre ‘que, avec l’uranium et les réacteurs à neutrons rapides l’humanité dispose d’une source d’énergie beaucoup plus abondante que toutes les ressources de charbon, de pétrole et de gaz réunies’ comme l’a souligné Klaus Barthelt (OECD/OECD) et que ‘faire de l’électricité avec de l’uranium dont on ne connaît aucun autre usage (en fait, pas tout à fait, puisqu’il existe quelques applications marginales en métallurgie, quelques alliages),c’est étendre la base des ressources totales énergétiques: on peut alors employer les hydrocarbures là où ils sont le plus efficaces, c'est-à-dire dans la pétrochimie et pour ceux des transports où ils ne sont pas substituables’.
Avec de telles perspectives à long terme et sans contribuer à la menace climatique, les responsables du nucléaire doivent traiter les questions de sûreté, de déchets ou de santé publique qui font encore débat, que les risques soient réels ou tout simplement perçus comme tels, avec sérieux mais aussi avec confiance, de sorte ‘que les obstacles actuels, une fois surmontés, il sera possible d’exploiter plus à fond son potentiel’ ( Alan Greenspan).
On a compris que les questions de transport pouvaient avoir une importance considérable au plan économique, mais plus encore sur les plans stratégique et géopolitique. Voyons cela de plus près.
Considérations générales
Rappelons les flux :
Charbon environ 4 milliards de tonnes par an
Pétrole 5
Gaz 2
En regard, l’Uranium ne représente qu’un maigre 0,065 million de tonnes par an, mais compte tenu que, tout au long du cycle, chaque tonne fait l’objet de plusieurs transports, nous admettrons pour simplifier et être très large 1 million de tonnes au maximum.
Le rapport est donc de 1 pour l’uranium à 2000 en tonnage pour le gaz, 5000 pour le pétrole et 4000 pour le charbon. Si on corrige ces valeurs pour les comparer à une même quantité d’énergie produite, ces rapports sont de 1 à 700 (gaz), 950 (pétrole) et 1250 (charbon). Il y a donc là pour le nucléaire un avantage totalement méconnu aujourd’hui, avantage qui finira bien un jour par être pris en compte, permettant l’implantation de programmes électronucléaires presque partout dans le monde, partout du moins où des réseaux électriques et où le niveau de développement de la société le permettent.
On a déjà mentionné que le charbon causait d’énormes difficultés de transport en Chine en contrariant la plupart des transports ferroviaires d’autres marchandises ou de voyageurs En France même, si les centrales étaient à charbon au lieu d’être nucléaires, la quantité de charbon à approvisionner serait de 130 millions de tonnes par an, soit le volume 35 pyramides de Khéops (146 m de haut) à déplacer par an. Si elles étaient au fuel, elles consommeraient chaque année 100 millions de tonnes de pétrole qu’achemineraient quelques 400 pétroliers de 250000 tonnes. Rappelons qu’il suffit de 5 camions pour alimenter chaque année une tranche nucléaire, le double si elle est MOXée et 4 ou 5 wagons pour évacuer ses combustibles usés
Ces constats basés sur les tonnages à transporter seraient sans doute encore plus décisifs si l’opinion réagissait avec plus de recul et d’équilibre aux questions de sûreté qu’elle ne le fait aujourd’hui. Ainsi elle s’échauffe facilement à l’encontre de certains transports de matières nucléaires effectués dans des conditions de sûreté remarquables alors qu’elle reste passive entre deux catastrophes maritimes affectant des navires pétroliers et le milieu marin, ne s’émouvant pas non plus de la présence d’un méthanier déchargeant sa cargaison de 100 ou 150000 tonnes de méthane dans un port proche d’une ville importante ou ignorant tout du passage d’un gazoduc véhiculant plusieurs centaines de m3 de gaz par minute sous une pression de 80 bars ou acceptant le stockage en un point de plusieurs centaines de milliers de tonnes d’hydrocarbures.
Considérations économiques
Les quantités (volumes, tonnages) sont bien sûr des indicateurs d’un poids économique, voyons ce qu’il en est simplement en examinant quels sont les éléments qui déterminent les courants de transport.
Le transport maritime est généralement peu coûteux et aisé sur de longues distances et sans rupture de charge pour le charbon et le pétrole; il est plus difficile et coûteux pour le gaz pour lequel il devient prohibitif au-delà de 10000 km, ce qui ‘limite l’intérêt d’un gisement de gaz à un certain rayon d’action. Le charbon, on le sait, voyage très mal par voie terrestre, son transport n’est donc acceptable que sur de courtes distances et s’il est bon marché au départ.
Le transport terrestre du gaz par gazoduc est comparativement moins cher que le transport maritime, mais reste 3 fois plus élevé que celui du pétrole par oléoduc. On considère que, sur 3000 km, le coût est de l’ordre de 2 à 3 dollars pour 1 GJoule (ou MBTU) à comparer à un prix du gaz compris entre 8 et 10 dollars en sortie de puits.
Le transport du gaz naturel sous forme liquide (GNL) est compétitif par rapport au transport par gazoduc à partir de 3-5000 km mais, au-delà de 15000 km, le coût du seul transport approche celui du pétrole équivalent contenu.
Le transport par voie maritime sur très longue distance du pétrole et du charbon est d’un coût très faible, beaucoup plus faible que le transport du gaz, même par gazoduc sur des distances beaucoup plus faibles Le gaz doit donc compenser par un faible coût de départ cette pénalisation due au transport; c’est bien ce qu’on observe.
On imagine bien, par conséquent, qu’il s’établisse des équilibres gaz/pétrole et mer/terre dans certaines aires géographiques et on comprend que certaines réserves ne peuvent satisfaire certains besoins.
Par exemple, si l’Europe peut, en principe s’approvisionner en charbon presque partout dès lors qu’elle accepte d’encombrer ses réseaux ferroviaires, sauf à n’utiliser le charbon qu’au voisinage immédiat des terminaux portuaires, mais alors il faut étendre considérablement le réseau de distribution d’électricité à très haute tension, ce qui n’est ni facile, ni économique.
Elle peut aussi s’approvisionner en pétrole et le brûler loin des côtes, mais elle ne peut guère s’approvisionner en gaz au-delà d’une distance de 10000 km de transport maritime ou un peu plus en cas de transport terrestre: les USA sont donc le débouché du Venezuela plus que l’Europe, l’Iran ne peut être un fournisseur de l’Europe que si le canal de Suez peut être utilisé et surtout si des pipe-lines acheminent le gaz en sûreté vers la Méditerranée. L’Europe peut donc s’approvisionner en gaz aussi bien au Moyen-Orient qu’en Russie/Sibérie ou dans le Caucase.
Certain visionnaires, souvent allemands, prônent par exemple d’éviter le transport du gaz africain vers l’Europe et recommandent de l’utiliser pour produire localement de l’électricité qui serait transportée grâce à un réseau THT implanté sur le pourtour de la Méditerranée, sachant que le même réseau pourrait distribuer de l’électricité d’origine solaire.
Ne pouvant compter ni sur leurs réserves nationales de pétrole (à l’exception de celles d’Alaska), ni sur celles d’Amérique Latine, les Etats-Unis ne pourront se priver avant longtemps du pétrole du Moyen-Orient et on voit bien que l’Administration américaine qui, au gré des alternances politiques prône tantôt le nucléaire et tantôt les énergies renouvelables, ne faiblit pas dans son intérêt porté au Moyen-Orient.