La R&D en France dans le domaine nucléaire
Index :
1. Introduction
2. Les programmes et dépenses de R&D passés
3. Les principaux acteurs en France et le financement actuel
4. Les grands axes de R&D
5. Les coopérations internationales
L’énergie nucléaire constitue sans aucun doute l’un des tout premiers secteurs industriels dans notre pays, tant par l’ampleur de son développement au niveau national que par la contribution significative qu’il apporte à nos exportations (plusieurs milliards d’euros annuellement). Mais c’est aussi une industrie dite «de pointe» qui met en œuvre de hautes technologies et des procédés souvent sophistiqués. Il n’est donc pas étonnant que ce domaine soit l’objet d’une importante activité de Recherche et Développement (R&D). Le but de cet article est d’en fournir un bref aperçu [1].
2. Les programmes et dépenses de R&D passés [2]
Avant de présenter l’état actuel de la R&D dans le domaine de l’énergie nucléaire, il nous a paru intéressant d’examiner très brièvement les efforts de R&D qui ont été consacrés dans le passé au développement de cette énergie dans notre pays. A cet effet, le récent rapport de la Cour des Comptes sur les «coûts de la filière électronucléaire» publié en Janvier 2012 constitue certainement la meilleure source d’information disponible. On y distingue 3 périodes :
- 1957-1969, années au cours desquelles l’essentiel de la R&D fut consacrée au développement de la filière dite «Graphite-Gaz», avec toutefois, à partir de 1963, des recherches sur des filières concurrentes à eau légère, à eau lourde, et surtout à neutrons rapides. Au cours de cette période, l’essentiel du financement s’est fait sur fonds publics à hauteur d’environ 1,1 Md€2010 par an (subventions allouées majoritairement au CEA).
- 1970 – 1989, qui fut la période où la priorité en matière de filières de réacteurs fut donnée au développement des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (RNR-Na), avec cependant un programme de R&D significatif sur la filière des Réacteurs à Eau Pressurisée (REP) pour accompagner le déploiement de cette filière finalement retenue par EdF (programme auquel a contribué financièrement le licencieur Westinghouse de 1976 à 1980) [3]. Les autres domaines de R&D ont été essentiellement ceux de l’enrichissement, du retraitement et des déchets, et de la sûreté (surtout après l’accident de TMI en 1979). L’ensemble a représenté en moyenne annuelle un effort d’environ 1 Md€2010 dont les ¾ ont été financés sur fonds publics.
- 1990 – 2010, années qui furent caractérisées par une réduction progressive de la part des subventions publiques, avec un redéploiement des moyens vers un nombre croissant d’acteurs industriels. Sans entrer dans le détail de cette redistribution, on peut retenir que cette part ne représente aujourd’hui que 40 % du total des dépenses de R&D qui reste globalement au même niveau que la période précédente, à savoir 1 Md€2010. Nous verrons un peu plus loin quels sont aujourd’hui les principaux axes des ces programmes de R&D. Voyons d’abord quel en sont les acteurs.
3. Les principaux acteurs en France et le financement actuel
Comme on vient de le voir, la recherche dans le domaine de l’énergie nucléaire n’est plus aujourd’hui financée majoritairement par des fonds publics (contrairement à une idée abondamment véhiculée par ceux qui s’opposent à cette forme d’énergie.), mais par les acteurs eux-mêmes de ce secteur. De ce point de vue on peut distinguer essentiellement :
CEA Cadarache Laboratoire d'examen des combustibles actifs (Leca), . Crédit : P.Dumas/CEA |
- Le CEA [4], qui a été historiquement et reste toujours l’organisme étatique de référence pour la R&D de base sur l’énergie
- Les deux grands acteurs industriels de l’énergie nucléaire en France, que sont AREVA et EDF, qui consacrent des efforts de R&D significatifs pour accompagner leur développement dans leurs métiers respectifs, à savoir la fourniture d’équipements et de services pour AREVA et l’exploitation de réacteurs nucléaires pour EDF.
- Les autres organismes public que sont l’IRSN [5], pour de la R&D spécifique dans le domaine de sûreté nucléaire et de la radioprotection, l’ANDRA [6] pour tout ce qui relève de la gestion des déchets radioactifs, et plus particulièrement leur stockage en formation géologique profonde, le CNRS pour quelques recherches ciblées faisant appel à des disciplines à caractère plus fondamentales.
Pour avoir une vision globale du rôle et du poids de chacun de ces acteurs dans la R&D nucléaire, il nous a paru intéressant de reprendre ici quelques uns des chiffres publiés dans le rapport de la cour des comptes déjà cité. Le tableau ci-dessous en fournit une synthèse (les chiffres sont des millions d’Euros, M€, pour l’année 2010).
Origine du financement |
CEA |
CNRS |
IRSN |
ANDRA |
EDF |
AREVA |
TOTAL |
Subventions |
271 |
28 |
115 |
0 |
0 |
0 |
414 |
Fonds propres |
0 |
0 |
0 |
0 |
158 |
227 |
385 |
Autres ressources (des autres acteurs) |
189 |
0 |
13 |
112 |
0 |
0 |
314 |
TOTAL |
460 |
28 |
128 |
112 |
158 |
227 |
1113 |
Il est à noter que ces chiffres tiennent compte en fait des relations croisées entre certains acteurs qui conduisent à des «doubles comptes». Cela est dû au fait que quelques acteurs comptabilisent dans leurs dépenses de R&D celles qui servent en fait à financer de la R&D réalisée par des partenaires pour leur compte, lesquels comptabilisent à leur tour ces «recettes» dans leur enveloppe de R&D. Ces sommes restent toutefois marginales (57 M€ en tout), ce qui ramène le total net de la R&D en France pour 2010 à 1056 M€.
Bien entendu, il n’est pas question de décrire ici dans le détail l’ensemble des travaux de R&D réalisés en France aujourd’hui dans le domaine de l’énergie nucléaire. On a préféré énumérer d’abord les grands objectifs qui guident l’élaboration et le déroulement des programmes. On s’intéressera ensuite à quelques exemples de recherches ciblées ou transverses.
4.1 – Les grands objectifs des programmes de R&D
Ils se déclinent différemment selon les domaines auxquels on s’intéresse. A cet égard, on peut en distinguer quatre principaux: réacteurs nucléaires, cycle du combustible, déchets radioactifs, sûreté nucléaire.
A – Les réacteurs nucléaires
Centrale de Golfech (2 x 1300 MW) |
Pour ce qui concerne les réacteurs d’aujourd’hui les principaux objectifs sont :
- L’accroissement de la disponibilité, notamment par la réduction de la durée des arrêts de tranche pour renouvellement du combustible ou pour maintenance lourde
- Une meilleure flexibilité pour s’adapter aux exigences du réseau et au suivi de charge.
- Une économie accrue, en cherchant à diminuer les coûts d’investissement par une simplification des concepts et en optimisant les coûts de fonctionnement (maintenance).
- Une amélioration continue des performances du combustible (UO2 ou MOX), avec l’augmentation du taux de combustion et l’objectif ultime du «zéro défaut».
- Une prolongation de durée de vie.
Pour ce qui concerne les réacteurs de demain, l’essentiel des travaux s’effectuent dans le cadre du «Forum international Génération IV» [7], pour lequel ont été définis au départ des objectifs en termes de durabilité (minimisation des consommations de ressources naturelles et minimisation de la production de déchets), d’économie (investissement et coût de cycle de vie), de sûreté (lors du fonctionnement et pour la maitrise d’accidents graves) et enfin de protection physique et de résistance à la prolifération.
B – Le cycle du combustibe et les transports
On peut distinguer ici trois grands domaines :
- L’amont du cycle avec :
- L’extraction et le traitement sur site du minerai d’uranium: les objectifs de la R&D concernent surtout l’optimisation des procédés d’extraction en fonction du contexte géologique afin de minimiser tout particulièrement les impacts sur l’environnement et de réduire les coûts.
- La chimie de l’uranium et plus spécialement la mise au point de nouveaux procédés permettant d’améliorer les performances de production, de renforcer la sûreté des installations et de réduire encore l'impact environnemental des activités
- L’enrichissement de l’uranium: l’objectif est de poursuivre des recherches sur des technologies innovantes comme la séparation isotopique par laser, en vue d’un éventuel remplacement de la technologie d’ultra- centrifugation universellement adoptée aujourd’hui à l’échelle industrielle
- Aval du cycle (hors déchets) avec :
- Le traitement des combustibles usés(dissolution, extraction, fin Pu et U). Il s’agit ici d’améliorer les performances du procédé aqueux actuellement mis en œuvre à l’usine de La Hague, en termes de coût, de disponibilité, de quantités d’effluents et déchets solides générés, d’impact sur l’environnement. Il s’agit aussi d’explorer les potentialités de procédés alternatifs aux caractéristiques attractives tels que les procédés dits "pyrochimiques" qui exigeraient cependant de très gros effort de R&D pour leur assurer un développement industriel.
- Le recyclage du plutonium au travers de progrès continus sur le procédé actuel de fabrication du combustible mixte Uranium-Plutonium (dit«MOX»), et l’étude de procédés innovants (tels que «COEX [8]»)
- Les transports de matières nucléaires
Dans ce domaine, l’objectif principal de la R&D est d’améliorer ce que l’on appelle les «conteneurs» de transport de ces matières nucléaires, plus spécifiquement ceux destinés au transport de matières très radioactives (appelés aussi «châteaux de transport»).
C – Les déchets radioactifs et le démantèlement
- Déchets radioactifs : d’une façon générale, les objectifs visés sont :
- Une amélioration des procédés de traitement, de conditionnement et de caractérisation des déchets (y compris traitement des effluents liquides).
- une réduction des déchets eux-mêmes en termes de volume et radiotoxicité, ainsi que de meilleures performances de confinement à long terme (en situation de stockage définitif).
- L’étude et la qualification des conditions de stockage définitif de ces déchets, sur un site de surface ou de subsurface, mais surtout en formation géologique profonde (modélisation et études dans des laboratoires souterrains).
- Démantèlement : c’est une R&D plus «technologique» portant essentiellement sur la recherche de procédés de décontamination innovants ou l’optimisation de ceux qui existent (ils sont extrêmement nombreux!), la mise au point des outils d’intervention en milieu hostile (robotique par exemple) et des moyens de démolition de structure. On peut également inclure dans ce domaine tout ce qui concerne les techniques de mesure et même la modélisation.
D – La sûreté nucléaire et la radioprotection
- Dans le domaine de la sûreté nucléaire, ont peut distinguer les études suivantes :
- Celles liées à la prévention et à la maitrise des accidents graves dans les réacteurs nucléaires. L’objectif est d’abord de diminuer le plus possible la probabilité d’occurrence de tels accidents, et si ils surviennent, de mieux comprendre et prévoir leur évolution. Typiquement, il s’agit de situations accidentelles très sévères comme la fusion partielle ou totale d’un cœur de réacteur nucléaire de puissance. Mais ce peut être aussi des accidents de type «injection brutale de réactivité dans un cœur de réacteur ou encore d’explosions vapeur ou même de grands incendies dans une installation nucléaire quelconque. L’acquisition de ces connaissances vise à la fois à limiter la progression de tels accidents et à mieux se prémunir contre les leurs conséquences, en allant jusqu’à l’évaluation des rejets et leur dispersion dans l’environnement en fonction des conditions climatiques.
Essais sismiques sur la table vibrante Azalée (batiment nucléaire éch:1/4)
Crédit : P.Stroppa/CEA
- Celles liées aux effets de catastrophes naturelles (type séismes) ou d’agressions externes (résistance aux chutes d’avions par exemple)
- Celles qui visent à un approfondissement des connaissances sur le risque de criticité, qui est tout à fait spécifique aux installations ou l’on manipule des quantités significatives de matières fissiles.
- Dans le domaine de la radioprotection, l’essentiel des recherches porte sur les effets biologiques d’expositions chroniques ou accidentelles aux rayonnements ionisants sur les hommes et les autres êtres vivants. Ces recherches sont complétées par celles qui concernent la dosimétrie qui visent à évaluer les quantités de rayonnement reçues par un individu ou une espèce dans une situation donnée (normale ou accidentelle, d’origine naturelle ou artificielle). On peut y ajouter les recherches menées en radio écologie destinées essentiellement à étudier les processus de transfert des radionucléides entre les divers compartiments des écosystèmes et à évaluer ainsi les phénomène de concentrations possibles de la radioactivité. Par extension, on peut aussi inclure dans ce domaine les recherches destinées à la décontamination d’espace polluées à grande échelle par des produits radioactifs (sols, infrastructures, bâtiments,…).
4.2 – Quelques exemples de R&D
4.2.1 – R&D «transverses»
Il existe de multiples exemples de R&D dites «transverses» car elles aboutissent à des connaissances et résultats pouvant être utilisés dans différents domaines évoqué plus haut. On peut citer à ce titre la recherche nucléaire de base (données nucléaires et interactions rayonnement matière inerte), la mesure (comprenant le traitement du signal), l’instrumentation et le contrôle commande, la modélisation et la simulation multi-échelle et multi-physique (y compris imagerie), robotique et télé opération, et enfin et surtout le très vaste champ d’action que constitue l’étude des matériaux. En effet, les qualités des matériaux conditionnent très souvent l’essentiel des performances des procédés et des systèmes de l’industrie nucléaire (mais c’est vrai aussi dans beaucoup de secteur de pointe comme l’aéronautique par exemple). Bien entendu, il n’est pas question ici d’expliciter plus avant la R&D menée dans chacun de ces domaines, et on se limitera donc simplement à évoquer quelques uns des thèmes liés à la R&D actuelle sur les matériaux pour l’industrie nucléaire.
D’une façon générale la R&D sur les matériaux vise à optimiser constamment les alliages existants, et d'élaborer les matériaux de demain, par le biais de procédés compétitifs tant sur les plans économiques qu'écologique», sachant que ces matériaux sont souvent utilisés dans des conditions très sévères et que leurs performance doit être anticipée sur des échelles de temps de plus en plus longues (prolongation de la durée de vie des réacteurs, matériaux de confinement des déchets radioactifs, ...). Parmi les différents thèmes de R&D sur les matériaux, on peut citer :
- Les études sur l’endommagement des matériaux : corrosion sous contrainte, usure, vieillissement, fragilisation par l’hydrogène; procédés de caractérisation.
- Les travaux théoriques et expérimentaux sur traitements thermiques et de surfaces ainsi que sur les et traitements mécaniques.
- Les procédés de mise en forme et d’usinage : simulation, optimisations et réalisations de ‘démonstrateurs’.
- La mécanique des matériaux : propriétés multifonctionnelles des matériaux ; transition ‘ductile/fragile’, nocivité des défauts.
- L’ingénierie d’assemblage et de fabrication : soudage, rechargement.
- La «métallurgie appliquée : élaboration des matériaux, mécanismes multi-échelles, métallurgie des poudres, prototypage rapide, nouveaux matériaux, matériaux composites.
4.2.2 – R&D ciblées
Ici encore, et même en se limitant uniquement aux grands programmes, on pourrait citer une multitude d’exemples de travaux de R&D destinés à une application bien spécifique. On se contentera donc d’en évoquer un seul choisi de façon assez arbitraire dans chacun des 4 domaines examinés en 4.1.
A – Les réacteurs nucléaires
La ligne Inca (chaîne pour la fabrication de combustibles avancés) Crédit : P.Dumas/CEA |
Il est logique de prendre ici un exemple concernant la R&D sur réacteurs de la future génération («génération-IV») et de s’intéresser plus particulièrement dans ce domaine à l’un des «systèmes» plus particulièrement étudiés en France, en tant qu’alternative possible aux réacteurs neutrons rapides (RNR) refroidis au sodium, à savoir les RNR refroidis au gaz (RNR-Gaz). Rappelons simplement que l’un des intérêts d’un tel caloporteur (en l’occurrence l’hélium) est d’éviter deux des inconvénients du sodium que sont sa grande réactivité chimique (qui oblige à des aménagements technologiques complexes) et son opacité visuelle (laquelle complique beaucoup les opérations d’inspection en service).
C’est au CEA que sont menés presqu’exclusivement ces recherches, mais en collaboration avec d’autres pays (Hongrie, République tchèque, Slovaquie,…). La faisabilité de la filière repose essentiellement sur la levée des «verrous technologiques» que sont :
- La mise au point combustible totalement innovant capable de satisfaire à un cahier des charges extrêmement exigeant (grande densité en noyaux lourds, températures très élevées, hauts taux ce combustion, etc.).
- Les matériaux soumis à des flux neutroniques très élevés dans des conditions thermiques sévères.
Il faut ajouter à cela le défi que constitue la maitrise d’accidents de dépressurisation rapide sur ce type de réacteur, et d’une façon plus globale l’approche générale de sûreté.
B – Le cycle du combustible
L'aval du cycle du combustible nucléaire porte des enjeux considérables, essentiels pour le développement des filières électronucléaires. Tirer le meilleur parti de ressources naturelles non infinies (uranium et au besoin thorium) et gérer au mieux les déchets ultimes, constituent à cet égard des objectifs majeurs pour assurer le développement d’une énergie nucléaire durable. Pour y parvenir, le choix d’un cycle du combustible dit « fermé » (traitement des combustibles usés et recyclage en réacteur des matières valorisables ou de certains déchets) devient peu à peu incontournable.
Les technologies mises en œuvre dans ce domaine ont atteint aujourd'hui un niveau de maturité industrielle et de performances remarquables, grâce à un confinement extrêmement stable et résistant des produits de fission et des actinides mineurs (AM), au travers de la vitrification de ces « déchets ultimes ». Toutefois, le souci constant de réduire encore le risque à très long terme (déjà extrêmement faible) de l’impact environnemental du stockage définitif de ces déchets, conduit à étudier aujourd’hui les voies de « destruction » possibles de ceux d’entre eux qui présentent une nocivité résiduelle au-delà de quelques siècles. C’est le cas des AM pour lesquels la loi du 28 juin 2006 prévoit entre autres une « évaluation des perspectives industrielles » de la « séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue ». C’est dans ce cadre que se place la R&D sur la séparation de ces AM.
Les défis scientifiques et technologiques à relever pour parvenir à des solutions industrielles sont très importants, mais de grands progrès ont été réalisés ces dernières années dans ce domaine avec l’identification de molécules extractantes (complexes) qui ouvrent la voie à plusieurs procédés de séparation des AM. La R&D consiste donc aujourd’hui à parfaire les connaissances sur ces procédés et d’en évaluer les performances à grande échelle et la faisabilité industrielle, conformément à la loi qui prévoit d’ailleurs un premier bilan fin 2012 sur ce sujet.
Pour conclure sur ce point, il est indispensable de citer la création récente (2009) d’un Institut de Chimie Séparative destiné à l’étude, à l’échelle nanométrique, des interfaces en conditions extrêmes pour comprendre les mécanismes qui gouvernent les phénomènes de séparation dans les fluides complexes et les matériaux du nucléaire.
C - Les déchets radioactifs
On citera ici la vitrification avec un programme de R&D majeur constitué par le développement de la nouvelle technologie dite du «creuset froid».
Vitrification des déchets radioactifs en creuset froid Laboratoires d’essai AREVA |
C’est une évolution radicale de la technologie qui présente des avantages majeurs par rapport à la technologie actuelle. Tout d’abord, le refroidissement du four de fusion permet la formation d’une fine couche de verre figée (l’autocreuset) qui protège le creuset métallique des agressions par le verre fondu et ses vapeurs corrosives. Ensuite, le chauffage par induction directe dans le bain de verre fondu autorise des températures d’élaboration jusqu’à 1300 °C contre 1100°C pour le four de fusion chaud. De ce fait, ce dispositif innovant permet la conception de nouvelles matrices de confinement des déchets (exclues auparavant pour des raisons de corrosion par exemple) tout en accélérant les réactions chimiques (ce qui accroît les cadences de vitrification). Enfin cette technologie améliore la durée de vie du creuset.
Le processus complet de développement de cette nouvelle technologie s’est étalé sur plus de 20 ans et vient d’aboutir à la mise en service industrielle à l’usine de La Hague d’une chaîne de vitrification utilisant ce « creuset froid ». C’est une réalisation de grande envergure, qui a fait appel à de très nombreuses études menées tant sur plan théorique qu’expérimental, et qui ont été réalisées en étroite coopération entre AREVA et le CEA mais aussi en partenariat avec des universités ou en faisant même appel à des compétences internationales. Cette nouvelle technologie, qui représentait un défi technique, constitue une grande avancée dans le conditionnement des déchets nucléaires. C’est donc un parfait exemple de réussite d’un grand programme de R&D.
D – La sûreté nucléaire
Essai d’étalement d’un corium sur différents substrats – CEA Cadarache (Programme Vulcano) |
La R&D en sûreté nucléaire allie étroitement des disciplines de base de la physique appliquée que sont la thermodynamique, la mécanique ou la thermohydraulique. Elle associe également le développement de grands logiciels de simulation et la réalisation d’expériences complexes. Ces multiples dimensions scientifiques et techniques de la sûreté nucléaire sont indispensables au regard des exigences toujours accrues dans ce domaine, en particulier pour ce qui concerne l’analyse des accidents sévères dans les réacteurs et la mise au point de dispositifs permettant d’en atténuer les effets. Sur ce dernier point, on peut citer un très bel exemple de programme de R&D qui a permis la mise au point de dispositifs visant à maitriser les conséquences d’une fusion totale d’un cœur de réacteur à eau pressurisé.
C’est typiquement l’étude, la conception puis la qualification sur maquettes d’un «récupérateur de corium» qui est un réceptacle situé sous la cuve du réacteur capable de contenir le «magma» que représente un cœur en fusion, et de l’étaler afin de le refroidir. Ce dispositif a été intégré à la conception du réacteur EPR aujourd’hui en construction en 4 exemplaires dans le monde. Sa mise au point a nécessité de nombreuses années d’études théoriques et expérimentales pour mieux comprendre les phénomènes très complexes que sont par exemple les interactions du corium avec les matériaux (aciers, céramiques, béton) ou l’évolution de bains fondus et des sources de gaz et d’aérosols. Bien entendu, cette R&D se poursuit aujourd’hui et sera sans doute renforcée à la suite de l’accident de Fukushima ou une partie des cœurs des réacteurs sont entrés en fusion.
5. Les coopérations internationales
Elles sont réellement multiples surtout en sûreté nucléaire mais également dans le domaine de la gestion des déchets ainsi que dans celui des études sur les réacteurs du futur.
En sûreté, ce sont les recherches sur les accidents graves qui font l’objet du plus grand nombre de coopérations internationales car elles impliquent des ressources humaines et financières très importantes, qui peuvent difficilement être supportées par un seul pays. De plus, c’est un domaine qui se prête très bien à ce type de coopération, étant donné l’impact mondial que peuvent avoir de tels accidents. Ainsi, l’IRSN participe activement à des programmes internationaux, notamment aux actions de recherche soutenues par la Commission Européenne dans le cadre de ses Programmes Communs de Recherche et Développement (PCRD) ou celles conduites sous l’égide de l’OCDE.
Dans le domaine de la gestion des déchets radioactifs, on retrouve également de nombreuses actions de coopérations multilatérales au niveau des pays Européens via des PCRD que l’on vient de citer. Pour ce qui concerne plus particulièrement le stockage des déchets radioactifs de haute activité à vie longue (dits «HAVL»), L’ANDRA entretient des coopérations avec la plupart des organismes ayant la responsabilité dans ce domaine (USA, Royaume-Uni, Espagne, Canada, Belgique…). Elle joue également un rôle moteur dans le cadre des travaux organisés par les instances internationales, comme l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN) de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Pour ce qui concerne les réacteurs, c’est évidemment le Forum Génération IV déjà cité qui reste le cadre privilégié pour toutes les coopérations de R&D multinationales. Cette instance est née d’une volonté collective de catalyser les efforts de R&D consentis par les différents pays sur les systèmes nucléaires du futur, jusqu’à l’atteinte du stade de la maturité industrielle vers 2040. Les options retenues accordent une large place aux réacteurs à neutrons rapides, dont les caractéristiques doivent permettre une meilleure gestion des ressources et une réduction du volume et de la toxicité des déchets. Dans ce cadre, la France a engagé de nombreuses collaborations avec d'autres pays membres de ce forum. Les technologies sur lesquelles elle a décidé de faire porter ses efforts (RNR sodium et RNR gaz) font d'ailleurs l'objet d'un consensus au sein de ce forum qui regroupe 12 pays (Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, France, Japon, Royaume-Uni, Russie, Suisse, USA) ainsi que l’Union Européenne. Plusieurs degrés de collaboration sont mis en place :
- Le partage d'installations de R&D, car il est inutile et coûteux de dupliquer ce type d'installations.
- Le partage de résultats, comme ce fut par exemple le cas dans le réacteur Phénix où plusieurs programmes communs sur la transmutation des actinides mineurs ont été menés avec les Japonais, les Américains et nos partenaires européens. Un exemple actuel est celui le développement d'un système de conversion d'énergie fonctionnant au CO2 supercritique en coopération avec le Japon, les Etats-Unis et la Corée du Sud.
- Le développement de composants en commun (dessin, dimensionnement et tests).
Parallèlement à la R&D à proprement parler, des actions sont en cours pour définir des règles de sûreté communes à l'échelle internationale.
[1] On ne parlera ici que de l’énergie de fission en excluant donc tout ce qui concerne la fusion nucléaire
[2] Toutes les sommes indiquées dans ce paragraphe sont exprimées en Milliard d’Euro 2010, Md€2010
[3] Le rapport de la cour des comptes ne mentionne pas cependant les recherches qui ont été également menées sur les réacteurs à haute température entre de début et la fin des années 70, et qui n’ont pas été négligeables.
[4] Officiellement dénommé depuis un décret du 9 mars 2010 «Commissariat à l’énergie Atomique et aux Energie Alternatives»
[5] Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire
[6] Agence Nationale pour la gestion des Déchets RAdioactifs
[7] C’est une structure de coopération internationale créée en 1999 sur une initiative américaine, qui fut d’abord destinée à sélectionner un ensemble de «systèmes» nucléaires (réacteurs + cycle de combustible associé) déployables vers le milieu de ce siècle et répondant à une série de critères définis par au sein même de cette structure. Cette entité s’est transformée en un «Forum» qui sert aujourd’hui de cadre pour mener en partenariat des actions de R&D communes sur certains de ces systèmes entre plusieurs pays membres de cette instance, jusqu’au stade de la maturité industrielle.
[8] COEX pour «Co-extraction de l’uranium et du plutonium» au retraitement. Cette operation est suivie d’une co conversion qui permet d’obtenir un oxyde mixte homogène à l’échelle atomique, satisfaisant aux critères requis pour les combustibles nucléaires de type MOX.