Toute politique ou stratégie énergétique doit se préoccuper :
- de l’existence durable des ressources nécessaires à la production d’énergie
- du coût auquel cette énergie est produite pour en permettre l’accès
- des conséquences à terme de cette production
Les ressources et les besoins
Les besoins en énergie vont croissant à l’échelle mondiale. Même en limitant raisonnablement la consommation d’énergie, ces besoins continueront à croître si l’on tient compte du fait qu’une large part de l’humanité reste sans accès à ce qu’on peut considérer comme un « minimum vital » (éclairage, conservation des aliments…).
Les ressources en énergie d’origine fossile sont limitées. On estime généralement à quelques dizaines d’années les ressources disponibles en pétrole et en gaz, à un siècle ou deux celles en charbon. Il est donc urgent de trouver des solutions de remplacement, d’autant plus que le pétrole, par exemple, outre une simple production énergétique, est particulièrement adapté aux applications chimiques. S’il doit se faire rare, mieux vaut l’épargner et le consacrer à ce domaine. A noter, par ailleurs, la répartition géographique de ces ressources qui constitue un réel problème géopolitique.
Les ressources en « énergies renouvelables » (vent, rayonnement solaire) voient leur apport limité par leur faible densité de répartition, leur manque de permanence et leur coût, même si elles constituent une réserve inépuisable qu’il ne faut pas négliger.
La ressource que représente la matière nucléaire répond à une part de la demande pour plusieurs siècles si cette énergie est mise en œuvre avec un rendement suffisant c’est à dire en utilisant pleinement l’uranium ou toute autre matière fissile. Les ressources sont réparties géographiquement dans des zones stables politiquement.
Les coûts
Le coût du kilowattheure électrique est formé de différents éléments. Il doit incorporer le coût de l’investissement nécessaire à la production (coût qui incorpore les frais financiers), le coût de l’entretien et de la rénovation éventuelle du matériel sur la durée de vie du moyen de production, le coût du combustible utilisé et un certain nombre de coûts annexes, notamment celui du traitement ou du stockage des déchets produits, voire, et c’est un sujet en discussion aujourd’hui, des coûts induits, sur l’environnement, par les effets du procédé employé (dits coûts externes). Il est intéressant de noter la différence de poids respectif de ces divers éléments selon la nature de la production retenue (hydraulique, charbon, nucléaire, éolien…).
Source GR21 |
Le nucléaire exige un coût d’investissement élevé qui contribue pratiquement aux 2/3 du coût du kilowattheure. Par contre, il est bien moins sensible au coût du combustible. On voit immédiatement que le nucléaire a besoin d’une capitalisation élevée au départ qui rend indispensable un amortissement sur une durée suffisante, mais l’expérience montre que la durée de vie des centrales nucléaires est longue, alors que le kilowatt-heure d’origine fossile souffre d’être tributaire du coût du gaz ou du charbon qui sont en augmentation.
Le coût du combustible pèse d’un grand poids sur le prix du kilowatt-heure d’origine fossile, de plus, ce coût est extrêmement fluctuant, comme le montre le graphique ci-dessous pour le pétrole.
Source GR21
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Le gaz suit généralement le pétrole dans ses évolutions, le charbon restant jusqu’à maintenant plus calme. L’uranium ne présentepas de semblables fluctuations et le coût de la matière uranium ne représente que 20% environ du coût total du combustible qui comprend aussi le coût de l’enrichissement de l’uranium, de la fabrication du combustible et du traitement et conditionnement des déchets.
La production d’électricité dans les centrales nucléaires assure à l’usager une plus grande sécurité sur le coût final du kilowattheure.
Il est légitime que le kilowatt-heure soit chargé de la totalité des coûts qu’il entraîne. C’est ainsi que le coût du kilowatt-heure nucléaire comprend le coût de stockage des déchets et celui du démantèlement des installations.
source GR 21 |
Mais il doit compter au même titre le coût entraîné par la production de gaz à effet de serre, dans la mesure où les conséquences de cette production deviendront de moins en moins supportables par la collectivité mondiale et que celle-ci exigera, par exemple, la séquestration de ces gaz. L’introduction de ces coûts, appelés coûts externes parce que liés aux effets externes des procédés de production d’électricité, modifie la position relative des différentes sources et ce, encore plus à l’avantage de l’énergie nucléaire.
La production d’électricité d’origine nucléaire assure un coût raisonnablement stable et d’un niveau très compétitif vis à vis des autres systèmes de production.
On trouvera une étude détaillée du prix de l'éléctricité dans le chapitre "Economie" page 33 du N° 65 de Nucléaire et Energie sur ce site.
Les facteurs qui doivent entrer en compte dans l’élaboration d’une stratégie énergétique sont au moins les suivants :
- les besoins
- les ressources disponibles et leur mode d’exploitation
- les coûts
- les conséquences de la production
- et, dans la mesure où l’on considère des pays démocratiques, l’opinion, tant pour l’expression de ses demandes (qui ne correspondent pas nécessairement aux besoins) que pour son appréciation des conséquences.
Toute stratégie doit prendre en compte les besoins. A l’échelle mondiale ceux-ci sont immenses : si on peut espérer qu’au prix d’efforts considérables les pays riches stabilisent plus ou moins rapidement leur consommation d’énergie, les pays d’Asie, la Chine notamment, ceux d’Amérique du Sud et d’Afrique (où la situation est encore plus « criante ») souffrent d’un réel manque d’énergie. Ils voudront évidemment accéder au mode de vie que, seule, une quantité plus large d’énergie consommée par habitant peut leur apporter (chauffage, conservation des aliments et médicaments, éclairage, transport, etc.) Une consommation mondiale moyenne de 2 tep par personne et par an (1 tep= 1 tonne équivalent pétrole) en 2020-2050 serait à la fois un grand succès de modération et de progression s’il était consommé avec moins d’inhomogénéité qu’aujourd’hui où le citoyen des États-Unis consomme 8 tep/an, l’Européen 4 et l’Africain moins de 0.5. Mais cela correspondrait néanmoins à un doublement de la consommation mondiale d’énergie. En fait toute stratégie devra prendre en compte une importante augmentation de la consommation mondiale d’énergie.
Les ressources fossiles sont limitées : on estime à 40 ans de consommation les réserves de pétrole, à 70 ans celles de gaz, tandis que celles de charbon devraient permettre une exploitation sur une plus grande durée peut-être de l’ordre de 1.5 à 2 siècles. L’hydraulique a, elle aussi, des limites. Le nucléaire offre des perspectives sur plusieurs siècles si l’on utilise complètement l’énergie de l’uranium ou du thorium dans des réacteurs à neutrons rapides (Génération IV)
L’éolien et le solaire, des ressources a priori illimitées, ont l’inconvénient de fournir une énergie intermittente.
La stratégie mondiale doit répondre à ces impératifs et doit s’efforcer de prévenir les tensions qui ne manqueraient pas de survenir en cas de grave pénurie ou de disparité exorbitante dans l’accès aux ressources. Elle doit également tenir compte de l’évolution de la répartition des populations et en particulier de leur urbanisation croissante.
Les économies d’énergie sont une ardente obligation, mais elles s’appliquent surtout aux pays développés et ne permettront pas, à elles seules, de répondre à la demande.
Les énergies renouvelables doivent être exploitées au maximum. En particulier, le chauffage solaire (chauffage domestique, eau chaude etc.) doit combler une fraction des besoins plus importante qu’actuellement. La livraison d’une énergie électrique intermittente grâce au solaire ou à l’éolien jointe à une faible densité de production et à des coûts élevés constituent un handicap pour ces procédés. Le rôle de l’utilisation de la biomasse est débattu (la Suède y a renoncé pour remplacer sa production nucléaire). De plus son application est à manier avec précaution comme en témoigne l’usage sans précaution du bois de chauffage dans un grand nombre de pays, facteur de désertification.
L’énergie nucléaire est incontournable durant le siècle à venir. Elle seule peut assurer l’alimentation électrique de grandes métropoles et prendre le relais des énergies fossiles compte tenu de la décroissance des ressources fossiles et de l’utilité de celles-ci pour d’autres applications que la production d’énergie (pétrochimie par exemple).
Les grandes lignes d’une stratégie énergétique se dessinent alors :
- raisonner dans un contexte mondial
- développer les économies d’énergie quand c’est possible
- développer l’utilisation d’énergies renouvelables là où elles s’imposent : habitat dispersé pour le solaire ou l’éolien, énergie géothermique disponible, énergie hydraulique
- développer les véhicules électriques pour diminuer l’émission de gaz à effet de serre (les transports routiers, en France, sont responsables de 26% des émissions)
- accentuer la recherche et développement dans le domaine du stockage d’énergie pour développer l’utilisation des énergies « intermittentes » (filière hydrogène)
- développer la technologie nucléaire par l’amélioration du rendement d’utilisation de l’énergie thermique (réacteurs à haute température) et du facteur d’utilisation de la matière nucléaire (réacteurs à neutrons rapides surgénérateurs). C’est l’objet du programme « Génération IV ».
Au niveau national ou européen, ces grandes lignes ne sont pas fondamentalement différentes, en notant seulement que quelques accents peuvent être posés :
- il est plus facile de faire des économies d’énergie en France ou en Allemagne qu’au Bangladesh
- l’utilisation de puissances électriques « intermittentes » dans une structure dense et interconnectée sur de grands réseaux pose des problèmes techniques et grève le coût du kilowatt-heure
- des pays où l’expérience et les moyens techniques sont parmi les meilleurs au monde dans le domaine nucléaire ont intérêt et le devoir de développer les possibilités de cette production énergétique
- la France ne dispose pratiquement d’aucune ressource fossile.
Enfin, on connaît les conséquences des différents modes de production. Aucune n’est sans danger ou sans nuisance. L’opinion publique est souvent mobilisée pour ou contre (plutôt contre d’ailleurs) l’une de ces productions : campagnes antinucléaires, protection des oiseaux incompatible avec les éoliennes, refus d’une liaison électrique à très haute tension ou d’un barrage hydroélectrique etc. Une information impartiale devrait permettre aux citoyens honnêtes de comprendre les besoins de la collectivité humaine et de se défaire des peurs irrationnelles. Ces peurs passeront, de toute manière, au second plan si les conséquences du manque de prévoyance deviennent trop lourdes (changement climatique, conflits armés ) mais il serait préférable de faire l’économie de ces expériences par la mise en place de stratégies raisonnables qui sont encore à notre portée.