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Le contexte
La réglementation française
Le coût et le financement
Le marché
Les installations démantelées
Les installations en cours de démantèlement
Le contexte
Les installations industrielles ne sont pas éternelles, vient un jour où elles cessent leur activité, soit parce qu’elles n’ont plus d’objet,
soit parce qu’elles ne sont plus rentables ou parce qu’elles ne satisfont plus des réglementations nouvelles. Souvent, elles étaient laissées à l’abandon jusqu’à ce qu’une nouvelle utilisation des locaux ou du terrain amène leur destruction ou leur réaménagement. Il en est de même pour la durée de vie des installations nucléaires, mais les risques que ferait courir leur abandon n’ont jamais été considérés comme acceptables et dans les pays occidentaux on a donc toujours considéré nécessaire de prendre des dispositions pour protéger la population et l’environnement de ces risques.
Bien avant que les premières installations soient à démanteler, l’AIEA avait défini trois niveaux objectifs du démantèlement :
- Niveau 1 : Fermeture sous surveillance, matières fissiles et fluides radioactifs enlevés, systèmes d’ouverture et d’accès verrouillés.
- Niveau 2 : Libération partielle ou conditionnelle, réduction au minimum de la zone confinée, démontage et évacuation des parties peu ou non contaminées.
- Niveau 3 : Libération totale et inconditionnelle (on dit retour à l’herbe), évacuation de toutes les parties restantes nécessitant des précautions particulières.
Démantèlement usine Mox de Cadarache Crédit :Orano (AREVA) |
Ces niveaux, imaginés principalement pour les réacteurs, correspondaient à une stratégie dite de démantèlement différé, l’installationétant mise sous cocon après le retrait des matières pour attendre quelques dizaines d’années au moins que la radioactivité des parties contaminées ou activées ait suffisamment décru pour entamer les phases suivantes dans des conditions plus favorables.
Les réflexions menées au cours des années 90 ont conclu que la définition de ces niveaux était trop rigide par rapport à des cas concrets et surtout que l’attente amenait plus d’inconvénients que d’avantages. En effet, la diminution de la radioactivité n’est pas suffisamment significative pour que les opérations en soient facilitées et surtout, en retardant, on a perdu l’expérience de l’exploitant qui connait bien son installation et sait quelles parties vont poser problème et on risque également d’avoir perdu l’entité responsable. On risque enfin de faire porter le poids du démantèlement sur les générations futures. La doctrine maintenant généralement admise est donc celle du démantèlement immédiat aussi complet que possible.
La réglementation française.
Depuis 2007 (décret du 2 novembre) « Le démantèlement doit être préparé dès la conception pour les nouvelles INB. Ceci prend la forme d’un Plan de démantèlement inclus dans le dossier de création, qui présente la stratégie de démantèlement (y compris l’état final envisagé) et sa mise en œuvre. »
Ce plan doit être mis à jour :
- Lors de la mise en service de l’installation ;
- Lors de toute modification du décret d’autorisation de création ;
- Lors des modifications de l’installation ne nécessitant pas de révision du décret d’autorisation ;
- À chaque remise d’un rapport de réexamen de sûreté.
- Lors de la déclaration d’arrêt définitif.
Opérations de démantèlement, usine Orano la Hague. Credit Orano (AREVA), Helsly Cedric |
Le processus d’arrêt et de déclassement est détaillé dans le guide N°6 de l’ASN [i] « Arrêt définitif, démantèlement et déclassement des INB ». Sa structure est sensiblement la même que celle du processus de création d’une INB, il se termine de la même manière par l’établissement d’un décret. Le guide précise que le démantèlement doit s’effectuer dans un délai aussi court que possible dans des conditions économiques acceptables et dans le respect des codes de la santé et de l’environnement.
Le processus commence par une déclaration d’arrêt définitif que l’exploitant doit faire au moins deux ans avant la date d’arrêt prévue. L’exploitant doit dans les deux ans qui suivent cette déclaration, déposer un dossier de démantèlement (de préférence, au vu de l’expérience, trois ans au moins avant le début des opérations de démantèlement).
Le dossier comprend de nombreuses pièces sur l’état de l’installation, une étude d’impact, la démonstration de la conformité avec les prescriptions d’hygiène et de sécurité et de radioprotection, la présentation des capacités techniques et financières, les méthodes et le planning. Indépendamment de ce dossier l’exploitant doit transmettre une étude sur la gestion des déchets et une mise à jour du plan d’urgence interne.
Dans un délai de 2 mois maximum après réception de la demande, après complément éventuel, le ministre adresse un accusé de réception à l’exploitant et lance la consultation de l’ASN. Dans un délai maximum de 18 mois, l’ASN informe le ministre que l’instruction peut continuer à se dérouler et celui-ci soumet alors le dossier à l’Autorité Environnementale qui doit statuer sous trois mois. Sur avis favorable de cette autorité, le ministre lance la procédure d’enquête publique. Sur les bases de celle-ci et des autres conclusions de l’ASN, le ministre élabore un projet de décret soumis à l’exploitant qui a deux mois pour présenter ses observations. La CLI est informée et peut émettre un avis.
Le décret de démantèlement alors publié prescrit les opérations de démantèlement, en définit les étapes, fixe le délai de réalisation du démantèlement, et le cas échéant, des différentes étapes de celui-ci. Il autorise, le cas échéant, la création d’équipements nécessaires au démantèlement. Il peut préciser certains points d’arrêt nécessitant une autorisation particulière de l’ASN.
Dans un délai de 3 mois après publication du décret, l’exploitant doit transmettre une révision du rapport de sûreté et des règles générales d’exploitation portant sur les opérations de démantèlement. Ce n’est qu’au terme de l’approbation de ces documents par l’ASN et au plus tard un an après sa publication que le décret prend effet.
Au cours du démantèlement, certaines dispositions peuvent être revues et soumises à l’approbation de l’ASN en fonction de l’évolution de l’installation.
Nettoyage de plaques IRSN: P Dubreuil |
Lorsque l’exploitant considère que les opérations sont terminées et que tous les risques radiologiques et environnementaux ont été éliminés, il peut demander un déclassement de l’installation en justifiant de l’état final de celle-ci et en ayant mis en place, le cas échéant, des servitudes d’utilité publique (restrictions d’accès ou d’utilisation, par exemple). Le préfet recueille l’avis des communes intéressées. L’ASN décide du déclassement au vu des conclusions du préfet et de l’avis de la CLI. Sa décision est soumise à l’homologation du ministre. L’installation est alors retirée de la liste des Installations Nucléaires de Base.
Ce processus est extrêmement lourd en travail et en délai. Il s’ajoute aux difficultés techniques et aux aléas et justifie en partie que le démantèlement d’une installation puisse s’étaler sur des dizaines d’années. Ceci d’autant plus que des causes externes peuvent venir bloquer le processus pendant de longues durées, telles que des recours d’opposants, des changements de réglementation ou le manque de disponibilité des filières de déchets qui en empêchent l’évacuation.
Le coût et le financement
La diversité des installations, la diversité des états dans lesquels se trouvaient les installations au moment de leur démantèlement, la diversité des états finaux obtenus, enfin la diversité des moyens mis en œuvre, dont la technicité évolue au fil du temps, rendent illusoire toute systématisation de l’estimation du coût du démantèlement. Pour ce qui est des réacteurs, pour lesquels on peut trouver une certaine similitude, aux États-Unis, la NRC a estimé à $ 300 millions le coût du démantèlement d’un réacteur, ceci n’incluant pas la gestion des combustibles usés. En France, la Cour des Comptes [ii] a évalué en 2012 à € 24,7 milliards valeur 2010 le montant des dépenses pour démanteler tous les réacteurs EDF. Ce montant comprend la déconstruction des installations pour 20.9 G€ et la gestion des derniers cœurs pour 3.8 G€ (ils ne sont pas amortis par la production d’électricité). Le montant ne comprend pas la gestion des combustibles usés (entreposage des combustibles, retraitement, entreposage des déchets conditionnés) ni la gestion des déchets (stockage profond). Cette estimation serait plus faible que celles faites en Allemagne et au Royaume-Uni, mais l’effet de standardisation a été invoqué pour justifier l’écart, et plus forte que celle des États-Unis, mais le périmètre n’est pas exactement le même.
Chantier de démantèlement au CEA Crédit CEA |
Disposer le jour venu du financement nécessaire est une préoccupation majeure, aussi les états imposent-ils aux exploitants d’instituer
des provisions au fur et à mesure que les installations produisent des revenus. Leur détermination est très difficile, parce que le coût lui-même est difficile à définir, parce que la durée de vie des installations est un paramètre très sensible généralement inconnu et enfin parce que les taux d’intérêts sont soumis, sur des périodes longues, à des aléas difficilement prévisibles. Ainsi EDF, avec l’accord de l’État, utilisait-il à fin 2017 un taux d’intérêt de 4.3% (moyenne des taux d’intérêt des bons du trésor français à 30 ans, majoré de 100 points), déjà en baisse depuis 5% en 2006. Un arrêté du 27 décembre 2017 contraint EDF à considérer progressivement entre 2016 et 2026 la moyenne des taux d’intérêt des bons du trésor sur 4 ans, majorée de 100 points. Cette modification contraindrait EDF à provisionner € 1.47 milliards supplémentaires pour chaque baisse de 20 points du taux d’actualisation. Ceci permet d’apprécier l’importance de ce paramètre aléatoire.
La sécurisation de ces provisions est également un point crucial. EDF les place dans des fonds dédiés qui font l’objet d’une supervision par le Comité de suivi des engagements nucléaires rattaché au conseil d’administration, sous la surveillance de l’État.
En tout état de cause, ces coûts ne sont pas déterminants dans le coût de l’électricité produite. La Cour des Comptes a en effet estimé, en considérant un taux d’actualisation de 5%, que si les coûts de démantèlement augmentaient de 50%, les couts de production de l’électricité n’augmenteraient que de 2.5%.
Le marché
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Il est mondial. Il y a au 11 janvier 2017[iii], 448 réacteurs en opération dans le monde, dont un certain nombre vont être arrêtés dans les années qui viennent, où ils vont rejoindre les 165 réacteurs déjà définitivement arrêtés. Le marché du démantèlement est donc un marché considérable, qui attire des convoitises. Néanmoins, c’est un marché très dispersé, avec des contrats d’un montant moyen relativement peu élevé, qui s’étalent sur des dizaines d’années avec des aléas importants et dont la rentabilité est loin d’être évidente. Malgré des associations d’entreprises, au niveau national ou international, aucun « champion » ne semble se dégager actuellement et l’agitation industrielle qui s’était amorcée semble retomber.
Les installations démantelées
Pour la France on peut citer pour celles qui sont amenées à un niveau compris entre 2 et 3, les bâtiments étant conservés sans sujétion particulière :
- AT1, installation pilote de retraitement de combustibles rapides à la Hague ;
- Tous les laboratoires CEA de Fontenay-aux Roses ;
Démantèlement de la centrale EDF de Chooz A
https://isabelleboucq.files.wordpress.com
- Le laboratoire de chimie du plutonium et les ateliers de traitement de l’uranium et du plutonium du CEA de Cadarache (LCPu, ATUe et ATPu) (voir article) ;
- Les réacteurs Siloette, Mélusine et Siloe du CEA Grenoble
- Le réacteur Rapsodie à Cadarache.
- Pour celles qui ont été amenées au niveau 2 (cœur du réacteur vidé et coconné) :
- Réacteurs militaires G1, G2 et G3 de Marcoule ;
- Les 9 réacteurs civils de la filière uranium naturel (Chinon, Saint-Laurent-des-Eaux, Bugey).
- Réacteur de la filière eau lourde de Brennilis ;
- Réacteur de la filière eau légère de Chooz A (voir article);
- Réacteur de la filière rapide SuperPhénix ;
- Usine de retraitement UP2 de La Hague.
Les installations en cours de démantèlement :
À l’étranger de nombreuses installations ont été démantelées dans divers pays, notamment en Belgique (réacteur BR-1), en Espagne (réacteur Jose Cabrera), en Allemagne, aux États-Unis, au Royaume-Uni (réacteur à uranium naturel de Windscale et plusieurs installations de Sellafield), mais pour beaucoup, le démantèlement s’est arrêté au niveau I de l’AIEA, stade dit Safestor aux États-Unis, qui n’est donc pas un démantèlement complet.
Conclusion
Opération de cisaillage de béton Crédit DFD |
Bien que le démantèlement ne soit pas une opération standardisée et parfaitement prévisible (pas plus que ne l’est la construction de réacteurs ou d’autres installations nucléaires), on peut dire que malgré des retards d’origine souvent externe, les opérations engagées en France sur des installations et domaines très divers sont allées à leur terme ou vont y arriver sans problème majeur, ni technique, ni de radioprotection, ni de financement. La multiplication indispensable de ces opérations va enrichir l’expérience et les compétences, ce qui doit conduire à leur banalisation comme une opération sans problème.
Le démantélement de l'ATPU (04-2018_2/11/2018)
Le démantèlement de la Centrale de Chooz A.(03/06/2018)
Références
[i] Guide de l'ASN n°6 : Arrêt définitif, démantèlement et déclassement des installations nucléaires de base https://www.asn.fr/Reglementer/Guides-de-l-ASN/Guide-de-l-ASN-n-6-Arret-definitif-demantelement-et-declassement-des-installations-nucleaires-de-base ↑
[ii] Cour des comptes : Les coûts de la filière électronucléaire - janvier 2012 https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-couts-de-la-filiere-electro-nucleaire ↑
[iii] The IAEA Database on Nuclear Power Reactors https://www.iaea.org/pris/ ↑